Antoine Larrache est membre de la direction des Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), l'organisation de jeunesse associée à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, section française de la IVe Internationale).
Depuis la mi-janvier on assiste à une révolte lycéenne contre la réforme Fillon(1), une révolte qui dure. Elle entraîne des dizaines de milliers de jeunes, tandis que des centaines ne sont plus allés en cours depuis près de deux mois... Tout ceci est l'expression du combat d'une génération contre un gouvernement à l'image de cette société: il ne lâche rien.
La mobilisation s'inscrit dans un contexte particulier. Un contexte de défaites, avec les mobilisations des salariés de mai-juin 2003 et des étudiants en novembre 2003. Un contexte où la révolte contre le gouvernement s'approfondit, avec ses défaites électorales, ou le refus de la majorité d'aller travailler le lundi de Pentecôte, que le gouvernement a changé en jour travaillé. Un contexte enfin où cette révolte commence à se concrétiser par la popularité du ÇnonÈ en vue du référendum sur la Constitution européenne, qui permet à peu de frais aux travailleurs d'exprimer leur rejet des politiques actuelles; et par la multiplication des grèves sectorielles (urgences médicales, pêche, radio, poste, chemins de fer...). Le mouvement lycéen donne confiance aux autres secteurs et les interpelle (dans la rue oué le soir, à la table du dîner, entre les lycéens et leurs parents...).
Des obstacles considérables
Le manque de traditions militantes se fait ressentir: la structuration locale aura dans l'ensemble été faible, avec peu d'assemblées générales, de comités de grève élus ou d'autonomie financière. Il aura ainsi suffi d'une offensive raciste (médias, préjugés, rôle de la police...) pour que la division qui existe entre les lycéens des quartiers les plus pauvres et les autres nécessite plusieurs semaines pour être dépassée.
La trahison des directions syndicales a été très claire. Après avoir joué, sous la pression de la base, un rôle d'impulsion nationale, les syndicats lycéens FIDL, UNL(2) ont pris prétexte des violences en manifestations pour abandonner le mouvement. Ce rôle a été compris largement par les lycéens qui, en manifestation, ont minorisé les syndicats par rapport à la coordination. La direction du syndicat majoritaire chez les enseignants, le SNES(3), aura, elle, tout fait pour empêcher leur mobilisation.
Enfin, la détermination du gouvernement empêche les lycéens de gagner seuls. Ceux-ci doivent donc construire un mouvement d'ensemble contre le gouvernement. Ceci s'oppose à ce qui est défendu par une partie d'entre eux, par désespoir: des actions minoritaires qui ne permettent d'entraîner ni les lycéens, ni les salariés. Dans la confrontation, les lycéens ont redécouvert des formes de lutte très traditionnelles: les assemblées générales, les piquets de grève, les manifestations, la nécessité de la grève générale. Un des problèmes est la trop faible compréhension de ces quatre aspects.
Pour faire face à ces difficultés, les lycéens n'auront eu que leur propre force et la maigre aide des révolutionnaires. La mise en place de la coordination nationale a joué un rôle décisif. Elle a permis de continuer la mobilisation après l'abandon par la FIDL et l'UNL, en proposant des dates, en organisant les blocages, en exerçant une pression sur les directions syndicales, en tentant d'unifier le mouvement... Cette coordination n'est pourtant pas sans faiblesse: mandats quasiment inexistants, désordre décourageant, direction élue quasiment impuissante, déconnexion d'une partie des lycéens qui ne vont plus sur leur lycée... Ces difficultés sont essentiellement le résultat de la faible compréhension qu'il est capital de s'organiser à l'échelle nationale.
Le rôle des jeunes révolutionnaires
Dans la structuration du mouvement et la définition de ses objectifs politiques, les révolutionnaires, principalement les JCR avec le soutien de la LCR, ont joué un rôle décisif. Nous avons tenté, dès septembre, de sensibiliser sur la future loi, puis avons été à l'initiative des coordinations, des premiers blocages de lycées, et avons poussé (sans grand succès) à la structuration démocratique du mouvement.
Des milliers de jeunes ont découvert que, pour défendre leurs intérêts, ils se sont retrouvés avec ceux qui n'ont rien à défendre dans cette société et sont prêts à pousser la confrontation jusqu'au bout. Face à un gouvernement qui ne lâche rien, il n'y a que deux positions possibles: renoncer comme l'ont fait les directions syndicales ou alors tenter de construire la grève générale.
L'issue du mouvement aura des conséquences: cela conditionnera la confiance d'une génération dans sa propre force. Une défaite renforcerait deux travers: les illusions électoralistes et le gauchisme. Mais, quelle que soit l'issue du mouvement, de grandes leçons devrait s'imposer largement. La première est qu'il ne faut compter que sur ses propres forces et être prêts à se battre. Nous verrons cette génération à l'¤uvre dans les prochaines luttes de travailleurs ou sur les universités. La deuxième, moins largement partagée, sera qu'il n'y a pas grand-chose à attendre de cette société, puisqu'on se moque des revendications des premiers concernés. Cela se traduit par un salvateur manque de respect envers les institutions (police, administrations, ministères...) et, pour une minorité, par un mouvement d'organisation chez les révolutionnaires.
Plusieurs centaines de jeunes vont probablement s'organiser, principalement aux JCR, dans une moindre mesure à Alternative libertaire ou à la CNT(4). Cela démontre que la meilleure façon de construire une force plus large que notre courant politique aujourd'hui est de défendre dans les mobilisations une politique unitaire mais qui en même temps s'oppose clairement à cette société. C'est le rôle que nous devons nous fixer dans les prochaines années: faire comprendre à cette nouvelle génération, par des expériences successives, qu'il faut renverser cette société.
1. La réforme "loi d'orientation et de programmation" casse les droits collectifs (un socle commun de connaissance È pour les plus pauvres, des études complètes pour les plus favorisés; remise en cause petit à petit des diplômes nationaux) et renforce le lien entre école et patronat en terme de contenu des formations et de financement des établissements.
2. La Fédération indépendante et démocratique des lycées (FIDL) et l'Union nationale des lycéens (UNL) sont des petits appareils, sans réelle présence parmi les lycéens, dirigées par des fractions du Parti socialiste. La FIDL jouissait cependant d'une légitimité.
3. Syndicat national de l'enseignement secondaire, le SNES est une des principales composantes de la Fédération syndicale unitaire (FSU), la plus importante fédération syndicale enseignante. Le SNES est dirigé par la tendance "Unité et action", construite à l'origine par les enseignants du PCF.
4. Alternative libertaire est une organisation communiste-libertaire. La CNT (Confédération nationale des travailleurs) est un petit syndicat animé syndicalistes-révolutionnaires.
Le déroulement du mouvement
Fin août 2004 : rapport Thélot provisoire, grands axes de la future loi Fillon.
Septembre 2004 : premiers tracts sur le rapport Thélot.
Jeudi 6 janvier 2005 : Contrôles de police dans 1800 établissements, rassemblements de protestation. Mouvements locaux contre la pénurie.
Jeudi 20 janvier : 300000 manifestants de la fonction publique. Plusieurs milliers de lycéens. Coordinations à Nantes et Paris. Les manifestations se multiplient.
Samedi 5 février : Manifestations pour le temps de travail. 500000 manifestants. Participation de 43 lycées à la coordination de la région parisienne.
Jeudi 10 février : 100000 manifestants. Les vacances scolaires commencent (sur un tiers du territoire), les manifs continuent.
Samedi 5 mars : Première coordination nationale.
Mardi 8 mars : 165000 manifestants. Violences à la manifestation parisienne.
Jeudi 10 mars : manifestation interprofessionnelle. Violences dans le cortège lycéen entre les services d'ordre et des jeunes. La FIDL et l'UNL se retirent peu à peu du mouvement. Les manifestations ne sont plus massives, mais les blocages de lycéens se développent.
Jeudi 31 mars : 180 lycées bloqués (sur 2 600).
Samedi 2 avril : manifestations de l'éducation. 60000 manifestants.
Jeudi 7 avril : 480 lycées bloqués.
Mercredi 20 avril : mise en garde à vue de 140 lycéens après l'occupation d'un immeuble du Ministère de l'éducation. Une dizaine d'inculpations.
Jeudi 12 mai : appel à manifestation de toute l'éducation par la coordination nationale.