Confronté en permanence à de graves accusations concernant son passé, le polémique secrétaire exécutif de la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB), Jaime Solares, a, quoi qu'on puisse en dire, le mérite d'avoir remis la Centrale syndicale sur le devant de la scène sociale, et ce depuis la première " guerre du gaz » d'Octobre 2003. A l'occasion de ces élections, il a longtemps été pressenti comme candidat à la vice-présidence pour le Mouvement Indigène Pachakuti (MIP) de Felipe Quispe, avant de renoncer à quelques jours de la clôture des listes.
Felipe Quispe vous a invité sur sa liste en tant que candidat à la vice-présidence, ce que vous avez finalement refusé. Pourquoi ?
Jaime Solares : Ce que voulait Felipe, c'était récupérer le sigle de la COB. Il ne voulait pas que je vienne en mon nom propre. C'était une sorte de condition à ma participation. Or, la COB ne peut agir comme un parti politique, c'est un instrument au service des travailleurs et nous ne pouvions pas l'engager en tant que telle. C'est la raison pour laquelle j'ai refusé.
Alvaro Garcia a révélé que des négociations avaient eu lieu entre la COB et le Mouvement vers le socialisme (MAS) en vue d'une éventuelle alliance. Pour votre part, vous êtes resté discret sur le sujet
Jaime Solares : Il faut comprendre que, depuis dix ans, Evo Morales comme Felipe Quispe ne se soucient plus du fait que la classe ouvrière soit l'avant-garde du prolétariat. Eux, ils voudraient diriger la COB, mais ils ne le peuvent pas parce que cela s'appelle Centrale Ouvrière Bolivienne. Mais ils ne sont que les chefs des campagnes et ne peuvent donc pas prétendre la diriger. La COB a été créée comme un organisme du prolétariat dont l'objectif est de défendre les intérêts des travailleurs et du pays. Evo, Felipe, et même Alvaro Garcia maintenant, disent : " La COB n'est plus qu'un petit mouvement avec une grande histoire ». En ce qui me concerne, je crois qu'ils se trompent lourdement car la classe ouvrière demeure une force sociale d'importance dans le pays, même si nous sommes moins nombreux que par le passé. Nous ne sommes donc avec aucun parti politique et nous ne soutenons personne. Nous ne voulons pas porter la responsabilité d'avoir soutenu un gouvernement qui pourrait attaquer les travailleurs demain, même si c'est un gouvernement du MAS.
Comment analysez-vous justement la possibilité qu'un gouvernement indigène arrive au pouvoir ?
Jaime Solares : Si Evo arrive au pouvoir, il aura des difficultés face à une droite coriace, car ce n'est pas un révolutionnaire mais un réformiste. S'il était révolutionnaire, nous serions à ses côtés. Mais sa perspective n'est pas un gouvernement ouvrier-paysan oeuvrant pour la révolution. Nous voulons donc conserver une posture d'observateurs par rapport à un gouvernement indigène pour voir comment il évoluerait. Il est évident que si Evo ne nationalise pas le gaz et les hydrocarbures, il tombera comme Gonzalo Sanchez de Lozada (1). En revanche, nous n'entraverons pas l'action d'un gouvernement qui satisferait les revendications populaires, même en en restant à l'écart.
Est-ce la rupture du Pacte d'unité révolutionnaire de mars 2005 qui est à l'origine de cette situation ?
Jaime Solares : En mars, on s'est engagés auprès du peuple à procéder à une nationalisation des hydrocarbures, sans indemnisation des compagnies pétrolières. Quand le MAS manifeste en mai, ce n'est pas sur cette consigne mais pour une modification de la loi sur les hydrocarbures qui ne remettait pas en cause les contrats illégaux liant l'État aux compagnies pétrolières (2). Par la suite, il a été le premier à défendre l'idée que la seule sortie de crise au mois de juin, c'étaient les élections, alors que le vrai enjeu, c'était le gaz ! C'était une trahison car il n'a pas respecté le pacte. Il ne voulait pas de cette nationalisation. La preuve en est qu'au cours de sa campagne, il a déjà expliqué qu'il n'expulserait aucune compagnie pétrolière. Or, ce sur quoi nous nous étions mis d'accord, c'était un programme d'orientation révolutionnaire. Et lui, en bon réformiste qu'il est, propose finalement de cohabiter avec le capital privé étranger.
Aujourd'hui, de nombreux syndicats appartenant à la COB se sont alliés en tant que tels au MAS pour ces élections. Quel en est l'impact au niveau syndical ?
Jaime Solares : Chacun sait ce qu'il fait. Au sein de la COB, nous avons une ligne et nous la maintiendrons. S'il y a des syndicalistes qui veulent soutenir tel ou tel parti, c'est leur problème, pas le nôtre. La COB, elle, ne peut s'allier au MAS.
Quelles sont les relations des deux CSUTCB avec la COB aujourd'hui ?
Jaime Solares : Pour nous, le dirigeant de la CSUTCB, c'est Felipe Quispe. Evo n'a rien à voir avec nous. Quispe est en relation organique avec la COB. Roman Loayza n'a jamais rien fait sur ce plan. Il s'est toujours plus consacré à la vie de son parti qu'à ses tâches syndicales.
On parle depuis quelque temps de la mise en place d'un instrument politique propre à la COB…
Jaime Solares : Cet instrument existe depuis quelques mois déjà, suite à une décision prise lors d'une assemblée générale de la COB. Il constitue le bras politique de la COB pour prendre le pouvoir et a pour nom provisoire " l'instrument politique des travailleurs ». Notre travail politique consistera à consolider cet instrument autour d'un programme révolutionnaire basé sur la nationalisation des hydrocarbures sans indemnisation, et la mise en place d'une Assemblée constituante révolutionnaire et indigène, où la représentation se ferait par organisations, et non par circonscriptions, qui serait une démarche conforme au modèle parlementaire bourgeois. Il s'agira également de renforcer l'Assemblée populaire indigène (3) issue de la crise de mai-juin, en tant que forme d'auto-organisation populaire permettant de jeter les bases d'une révolution ouvrière-paysanne de caractère socialiste.
Une meilleure articulation des mouvements ouvrier et paysan ne passerait-elle pas justement par une représentation plus réaliste des paysans au sein de la COB ?
Jaime Solares : Oui, ça, c'est l'argument du MAS pour prendre le pouvoir au sein de la COB ! Car les statuts actuels indiquent que l'avant-garde du prolétariat, ce sont les mineurs, et cela, nous devons le maintenir, car notre organisation est une centrale ouvrière. La Confédération Syndicale Unique des Travailleurs Paysans de Bolivie (CSUTCB), que je sache, ne mentionne pas les ouvriers ! Ils sont les propriétaires de leur confédération et nos alliés.
Quels sont les enjeux du Sommet Ouvrier et Populaire de janvier et du Congrès de la COB courant février ?
Jaime Solares : Le Sommet aura, entre autres, pour fonctions de préparer le Congrès de la COB. L'enjeu de ce Congrès sera de faire face à la division qui affecte de nombreux secteurs : les paysans, les mineurs, les travailleurs du pétrole, la centrale départementale de Cochabamba, où Oscar Olivera (4) a été écarté du comité exécutif. Il s'agira aussi de discuter de l'attitude de certains syndicats qui collaborent avec le patronat, comme par exemple au sein de la centrale départementale de Santa Cruz (5). Face à cette grave crise, notre boussole, c'est l'orientation de lutte de classes de notre centrale. La COB ne se vend plus aux gouvernements successifs comme par le passé. La COB d'aujourd'hui est pauvre, mais elle est digne.
Certains médias vous ont accusé d'avoir appelé à un coup d'État militaire lors de la crise de mai-juin. Pouvez-vous donner des éclaircissements sur ce qu'a été votre position ?
Jaime Solares : 98 % des médias, ici, appartiennent à des groupes privés, qui ont déformé mes propos autant qu'ils le pouvaient. Je n'ai jamais appelé les militaires à un coup d'État. J'ai simplement dit que si un militaire patriote et engagé auprès du peuple, comme Chavez au Venezuela, prenait le pouvoir en Bolivie, je serais le premier à le soutenir, pour en finir avec l'injustice sociale et la misère. Tout cela n'est qu'une campagne de calomnies à mon encontre, qu'Evo Morales a eu malheureusement tendance à reprendre à son compte.
Pour certains, il y avait une sorte de cohérence entre une telle prise de position et les soupçons qui pèsent sur votre soi-disant passé de paramilitaire travaillant pour le compte du régime du général Luis Garcia Meza (6)
Jaime Solares : Cette campagne de diffamation menée à mon encontre sert les intérêts de l'impérialisme et de tous ses laquais en Bolivie. Luis Garcia Meza, qui est aujourd'hui emprisonné à Chonchocorro, dit qu'il se rappelle de moi. Mais visiblement, sa mémoire est sélective car quand on lui demande où il a enterré les victimes de son régime, il dit ne pas s'en rappeler, pas même dans le cas de Marcelo Quiroga Santa Cruz (7). Plusieurs sources affirment que l'on aurait versé 10 000 dollars à Garcia Meza pour qu'il formule ces accusations à mon encontre. Lorsqu'il a dit cela pour la première fois, la direction de la prison et la presse ont mis au point un véritable show médiatique. C'est une authentique manipulation dont le seul but est de me mettre hors-circuit. Tous mes proches ont rit en apprenant la nouvelle. Quant à mes camarades de la COB, jusqu'à présent, ils me soutiennent malgré les calomnies, car je défends une ligne juste pour les travailleurs.
1. Gonzalo Sanchez de Lozada, dit " Gonio », fut le président de la République forcé à démissionner lors de la première " guerre du gaz » d'octobre 2003.
2. cf. Inprecor n° 507/508 de juillet-août 2005.
3. A El Alto, à l'appel de la COB, de la COR et de la FEJUVE, une telle Assemblé populaire a vu le jour début juin 2005, puis son appel a été relayé par la Coordination à Cochabamba, qui a mis en place une structure similaire. Cependant ces embryons de pouvoir populaire sont restés dans une large mesure incantatoires et limités à une coordination des leaders des principaux mouvements sociaux. cf. Inprecor n° 507/508, op. cit.
4. Oscar Olivera est l'un des leaders de la " guerre de l'eau » de 2000.
5. Le secrétaire exécutif de la COD de Santa Cruz, Gabriel Helbing, est candidat sur les listes de la coalition de droite PODEMOS à Santa Cruz.
6. Depuis l'élection de Jaime Solares à la tête de la COB, lors de son XIIIème Congrès en août 2003, celui-ci est régulièrement attaqué par la presse et ses opposants. Selon plusieurs journalistes, Solares aurait été paramilitaire pour le compte de la police politique des régimes militaires, la DOP (Département de l'Ordre Politique), à la fin des années 1970, et ce durant 6 ans, alors qu'il travaillait dans la police minière (chargée d'empêcher le vol de matières premières et d'outils) dans la mine de Huanuni. Jusqu'à présent, Solares a toujours nié ces accusations.
7. Marcelo Quiroga Santa Cruz, chef du Parti socialiste et leader historique de la gauche bolivienne, dont les circonstances de l'assassinat restent à ce jour non élucidées.