Décarbonisation et décroissance énergétique

par Daniel Tanuro
Décarboniser l'économie implique de se passer des combustibles fossiles (en particulier du pétrole), non seulement comme sources d'énergie, mais aussi comme matières premières dans l'industrie pétrochimique. Des matières première de substitution existent certes, puisque des plastiques peuvent être produits à partir de matière organique. Mais la biomasse ne peut pas tout faire à la fois : nourrir l'humanité, fixer le carbone en excédent dans l'atmosphère, servir de source énergétique et fournir les matières premières nécessaires à la fabrication de polymères biologiques… Le problème des superficies disponibles et des impacts écologiques, ainsi que sociaux, est évidemment posé. Selon l'Agence Européenne de l'Environnement, la biomasse ne pourrait pas couvrir plus de 15 % à 16 % des besoins énergétiques de l'UE en 2030 sans être nuisible sur le plan environnemental (à condition que des normes précises soient adoptées sans quoi même une production plus modeste pourrait être écologiquement négative) (1). Le problème pourrait devenir sérieux dans plusieurs pays du tiers-monde que certains rêvent de transformer en producteurs d'éthanol pour l'exportation. Une étude de l'Agence internationale de l'énergie estime ainsi que la production d'éthanol à partir de canne à sucre pourrait couvrir à elle seule 10 % de la consommation mondiale d'essence et 3 % de la consommation de diesel en 2020 (2). Ici, aucun garde-fou environnemental n'est évoqué… Dus à l'absence de toute volonté de réduire sérieusement la demande primaire d'énergie, notamment dans le secteur des transports, ces projets risquent de donner un nouveau coup d'accélérateur aux monocultures industrielles pour l'exportation, avec les conséquences sociales et écologiques qui en découlent. Même si une partie importante de l'énergie solaire peut être utilisée directement (par les capteurs thermiques et photovoltaïques, sans passer par les convertisseurs énergétiques que sont les plantes vertes), cet exemple montre néanmoins qu'il ne saurait suffire de remplacer les fossiles par les renouvelables en continuant business as usual. Le passage aux renouvelables doit aller de pair avec une baisse de la demande primaire des pays développés, une chasse aux gaspillages et une hausse de l'efficience énergétique. La frénésie capitaliste de croissance et la boulimie énergétique doivent être mises en question.
notes
Sources : EEA Report N°7/2006 et IEA EET Working Paper, "Reducing Oil Consumption in Transport", L. Fulton, april 2004.

1. EEA Report N°7/2006

2. IEA EET Working Paper, Reducing Oil Consumtion in Transport, L. Fulton, april 2004

 

Auteur·es

Daniel Tanuro

Daniel Tanuro, ingénieur agronome et militant écosocialiste, est membre de la direction de la Gauche anticapitaliste (GA-SAP, section belge de la IVeInternationale). Outre de nombreux articles, il est l’auteur de Impossible Capitalisme vert (la Découverte, Paris 2010) et de Trop tard pour être pessimistes ! Écosocialisme ou effondrement (Textuel, Paris 2020).