Rapports sociaux de sexe, rapports de classes et rapports Nord-Sud

par Didier Epsztajn

Femmes, genre, féminisme, Editions Syllepse 2007, 120 pages, 7 euro.

La nouvelle livraison des cahiers de Critique Communiste remplit un vide malgré la multiplication des ouvrages sur la question du genre et du féminisme.

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Josette Trat revient sur l'histoire oubliée ou méconnue du courant " féministe lutte de classes ». Après avoir rapidement présenté les caractéristiques des autres courants féministes (Différentialistes, " féminisme radical ») l'auteure détaille les positions de ce courant qui contrairement aux féministes socialistes des générations précédentes n'a pas subordonné la lutte des femmes à la lutte socialiste. Au centre de la réflexion, la compréhension que " si toutes les femmes sont opprimées, elles ne le sont pas toutes de la même manière », c'est pourquoi il est nécessaire de " combiner l'action autonome du mouvement féministe avec l'action unitaire avec d'autres mouvements sociaux ».

Si les années 1970-1980 sont une phase d'expansion et de grandes conquêtes (droit à la contraception, à l'avortement, liberté pour les femmes de disposer de leur corps, etc.), les années 1984-1995 marquent une période défensive pour le mouvement féministe. L'auteure décrit les luttes et les problématiques qui ont marqué chacune de ces périodes.

" Le 24 novembre 1995, 40 000 personnes manifestèrent dans les rues de Paris, pour le droit à l'emploi des femmes, contre les attaques des commandos d'extrême droite, contre l'ordre moral, à l'initiative de la CADAC (Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception) et à l'appel de plus de 140 organisations…. Cette manifestation fut le prélude au grand mouvement social de novembre-décembre 1995 ».

Cet article se termine sur les obstacles anciens et nouveaux de la dernière période 2002-2006, l'auteure met en avant l'urgence " de penser les rapports sociaux de sexe en les articulant aux rapports de classe et aux rapports Nord-Sud ».

Le second article tire les enseignements du travail de terrain mené par le Collectif Féminin-Masculin de Vitry au travers d'un entretien avec Sandrine Bourret (enseignante et présidente de ce collectif) et en particulier sur les violences faites aux femmes.

Dans l'interview suivante Elsa Dorlin explicite les origines du courant queer 1 et défend de manière particulièrement argumentée l'apport possible de ce courant aux réflexions féministes d'aujourd'hui.

Stéphanie Treillet analyse les rapports entre mondialisation libérale et oppression des femmes. " On ne peut comprendre la mondialisation capitaliste que comme un processus modelé et structuré par la division sexuelle et sociale du travail. ». Elle décrit les ambiguïtés et les contradictions potentielles des deux principaux mots d'ordre du mouvement altermondialiste " le monde n'est pas une marchandise » et " un autre monde est possible », tout en soulignant leur caractère unificateur pour conclure " la prise en compte de la dimension de genre dans l'analyse de la mondialisation montre qu'on ne construira du collectif que sur la base de l'émancipation des individus. »

Deux chapitres traitent de la prise en compte des questions de santé dans les luttes féministes et gaies (Gabriel Girard) et de la nécessaire histoire des mouvements de femmes de l'immigration en France (Claudie Lesselier).

Enfin Dorian Dolzome et Maud Gelly analysent l'offensive masculiniste, " difficile à identifier comme adversaire politique du féminisme dans la mesure où il utilise des argumentaires égalitaires pour les dévoyer » (divorce, garde des enfants, etc.)

Ces textes montrent que le souci d'articuler lutte féministe, antiraciste et lutte de classes ne date pas d'hier.

Il me faut souligner la grande qualité éditoriale de ce petit livre, sa clarté et son souci de simplicité qui ne rime jamais avec simplification. Une lecture importante en attendant impatiemment une suite et qui sait, peut-être la renaissance des " Cahiers du féminisme »…

notes
1. Le terme queer — à l'origine un mot de l'argot signifiant littéralement louche, trouble, bizarre — a été repris comme une autodénomination par les groupes militants gays et féministes à la fin des années 1980 aux Etats-Unis. Le courant théorique queer explique que les identités de genre et de sexualité — " homme » ou " femme » — sont des constructions, tout en étant réelles, donc opprésantes ou oppressives.

 

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