En politique internationale comme sur le terrain intérieur, Macron est décidément un champion en déclarations aussi inconséquentes que politiciennes. Il s’est surpassé à l’issue d’une Conférence de soutien à l’Ukraine, organisée à l’Élysée lundi 26 février en présence de 27 chefs de gouvernements ou leurs représentants.
Sa prise de position en forme d’escalade interventionniste – « Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre » – a immédiatement provoqué de multiples réactions : parmi les autres chefs de gouvernements occidentaux, responsables de l’OTAN ou militaires plus anonymes, pour démentir une telle perspective ; parmi les responsables politiques français pour condamner ces propos, soit sur leur pertinence dans la situation ukrainienne, soit pour s’élever contre cette nouvelle démonstration d’une orientation va-t-en guerre du président Macron.
La veille de cette conférence, le président ukrainien Zelensky avait quant à lui insisté sur le fait que « sur un million d’obus que l’Union européenne nous a promis, ce n’est pas 50 % mais malheureusement 30 % qui ont été livrés ». À cause de ces retards, « nous perdons des gens, nous perdons des territoires », a même souligné son ministre de la Défense.
Ce sont les armes qui manquent aux UkrainienNES, pas des troupes !
Pendant toute la première année de l’invasion russe, Macron a prétendu pouvoir ramener l’autocrate Poutine à la raison, insistant sur le fait qu’il ne faudrait pas l’humilier et menant une diplomatie solitaire pour trouver un compromis – convergente sur le fond avec celle du gouvernement allemand – qui apportait aux demandes pressantes d’aide militaire venant des Ukrainiens une réponse plus que timide pour tenir face au rouleau compresseur russe.
Menacés de discrédit total sur cette ligne, gouvernements français comme allemand se sont résignés à fournir des armes à l’Ukraine. Cependant, la France est maintenant loin derrière l’Allemagne qui apporte la plus grosse part de l’aide européenne apportée à l’Ukraine. Comme le plus souvent avec Macron, la réalité de sa politique est inversement proportionnelle à l’emphase de ses déclarations. Les UkrainienNEs n’ont pas demandé de troupes des autres pays. Ce sont des munitions et des armes qu’ils réclament, de portée suffisante pour bloquer les attaques russes ! Or, la France est, en proportion, parmi les derniers pays de l’Union Européenne contributeurs d’aide à l’Ukraine, occupant une peu glorieuse 27e place avec 1,98 millliards d’euros soit 0,07 % du PIB, dont 700 millions seulement au titre de l’aide militaire. Ces chiffres (englobant aide financière, humanitaire et militaire) sont les évaluations du Kiel Institute (un centre de recherche allemand) qui estime à 42,2 milliards l’apport des États-Unis et 17,7 milliards celui de l’Allemagne.
Contestant ces chiffres, le gouvernement Macron revendique un montant de 3,8 milliards d’euros en 2022 et 2023 – sans transparence sur le mode d’évaluation et toujours loin derrière l’Allemagne. La fanfaronnade sur l’envoi de troupes masque cette réalité et voudrait faire de la France l’avant-garde du soutien militaire à l’Ukraine.
La France, troisième marchand d’armes mondial
Dans sa conférence de presse Macron a prétendu que les retards de livraison s’expliquaient par une production d’armement défaillante dans tous les pays occidentaux. Il est sur ce terrain contredit par Joseph Borrell, haut représentant aux Affaires étrangères de l’UE, qui a déclaré : « Le moyen le plus rapide, le moins cher et le plus efficace d’augmenter notre approvisionnement en munitions pour l’Ukraine est de cesser d’exporter vers des pays tiers ».
La France est concernée directement comme troisième marchand d’armes mondial, après les USA et la Russie. Elle livre les armes les plus sophistiquées aux régimes dictatoriaux comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (qui bombardent le Yémen), le Qatar, l’Égypte, le Maroc, et bien sûr à Israël...
C’est au titre de l’industrie exportatrice et de la puissance nucléaire de la France – sans rapport avec l’Ukraine – que le chef de l’État français aspire à un leadership européen. Cette réalité est mal camouflée par des déclarations qui tiennent de la posture de « chevalier blanc » de la solidarité avec l’Ukraine – cherchant un contraste avec l’extrême-droite et une partie de la gauche à l’approche des élections européennes – et visent également à détourner l’attention de sa complicité avec le colonialisme criminel d’Israël.
Rien de tout cela n’empêcherait Macron de rejoindre ceux qui appellent à des « négociations immédiates » entre la Russie et l’Ukraine, sans exiger le retrait des troupes de Poutine de tous les territoires occupés depuis 2014. Mais comment imaginer une paix durable avec 18 % du territoire ukrainien annexé par Poutine, au mépris des frontières garanties par le droit international ? Quelles garanties aurait le peuple ukrainien, alors que les précédents accords de Bucarest et Minsk ont été bafoués ?
En finir avec les ventes d’armes, la dette et les politiques ultralibérales
Comme l’exprime notre camarade de Sotsialnyi Rukh Vitalyi Dudin1 , l’Ukraine a montré qu’il n’était pas nécessaire d’adhérer à l’OTAN pour se défendre, à la condition de recevoir des armes et des munitions – données et non vendues –, à la condition également d’annuler la dette ukrainienne vampirisante. Il faut vaincre la corruption et les nuisances des oligarques, et les privatisations. Il faut en finir avec les politiques ultra-libérales du gouvernement ukrainien, qui menées, même en pleine guerre, s’opposent aux conditions d’une lutte de résistance nationale qui, pour être plus forte et efficace doivent être socialement juste. Un enjeu majeur est que notre soutien sur tous ces plans s’inscrive dans notre engagement global contre le militarisme et la course aux armements : la socialisation des industries d’armement tournées vers le profit en est la condition, accompagnée de notre soutien à tous les peuples qui, dans des contextes divers, luttent contre des politiques d’oppression néocoloniales.
Publié dans L’Anticapitaliste le 7 mars 2024.
- 1//www.europe-solidaire.org/spip.php?article69915)