Le projet de nouveau Code du travail ukrainien récemment publié par le gouvernement représente la plus grande attaque contre les droits des travailleurs depuis la période de la loi martiale.
Ce document complet de 264 articles pourrait compromettre la mise en œuvre de nombreux droits garantis aux employés par la Charte sociale européenne et le droit du travail européen. C'est loin d'être la première tentative d'abrogation du Code du travail ukrainien au cours des dernières décennies, mais c'est clairement l'une des plus audacieuses. Elle pourrait susciter un profond ressentiment parmi les travailleurs qui tentent de mener une vie normale ou de servir dans les forces armées.
Des millions de personnes employées sous contrat de travail risquent de perdre leur protection contre le licenciement et leur capacité à résister aux actions arbitraires de leurs employeurs. Les auteurs cherchent à perpétuer les restrictions "temporaires" des droits de la période de guerre, offrant aux Ukrainiens la possibilité d'endurer l'injustice même après la victoire. Des dispositions distinctes légaliseront des pratiques honteuses telles que le licenciement pourdivulgation de secrets commerciaux, la journée de travail de 12 heures ou l'interruption inopinée des vacances. Si leCode est adopté cette année, il entrera en vigueur en 2025 (article 1 des dispositions finales et transitoires).
Pour autant que l'on sache, le projet a été rédigé à la hâte par un petit cercle d'auteurs sous la direction de la ministre de l'économie Yulia Svyridenko et de la députée du peuple Halyna Tretyakova [du parti de Zelenskyy], sans laparticipation de représentants syndicaux. Le résultat est une loi pauvre dans sa forme et antisociale dans son contenu.
Compilation aléatoire
S'appuyant sur des approches néolibérales, les auteurs cherchent avant tout à rendre la législation du travail pratique pour les capitalistes et à faire de l'employé la partie la plus faible de la relation de travail, incapable de se protéger. Le document contient les normes des projets de loi ukrainiens "sur les conventions et contrats collectifs", "sur les conflits collectifs du travail" (Livre 4), "sur la sécurité et la santé des employés au travail" (Livre 3) et, bien sûr, le projet Mylovaniv de la loi "sur le travail" [voir ce commentaire (en anglais)].
La longueur du texte réglementaire peut facilement dérouter le salarié. Mais en même temps, beaucoup d'institutions du droit du travail n'y ont pas trouvé leur compte : c'est notamment le cas pour l'examen des conflits individuels dutravail, puisque seul l'article 192 est consacré aux recours juridictionnels. La section "Droits et garanties d'activité"n'est pas abrogée, mais sa portée pratique sera réduite par le fait que le nouveau code envisage les fonctions des syndicats d'une manière très différente.
Les dispositions sont parfois incohérentes : L'article 24 prévoit le droit de l'employeur d'intenter une action disciplinaire à l'encontre du salarié, mais sa conception et sa procédure d'application ne sont pas divulguées. Il existe également une interdiction générale du harcèlement moral au travail, mais l'obligation de l'employeur de lutter contre ce phénomène n'est pas incluse (comme dans l'actuel article 158 du Code du travail). Il convient de noter que l'article18 du projet permet aux employeurs d'édicter des règlements locaux. Il peut étendre les fonctions de l'employé (article 22). Il n'est pas nécessaire d'impliquer les syndicats dans ce processus, de sorte qu'une telle "autorégulation" conduira au chaos.
Travailler jusqu'à la mort
Conformément à l'article 84, les salariés ne peuvent pas travailler plus de 48 heures par période de sept jours, heuressupplémentaires comprises. Le nombre d'heures supplémentaires par année civile est limité à 360 heures(actuellement 120 heures). Dans le même temps, la loi offre aux employeurs une possibilité extrêmement pratique d'introduire une réorganisation sommaire du temps de travail (article 88), où il est permis de travailler, par exemple, une année de temps de travail sur une période plus courte.Dans ce cas, le travail peut durer jusqu'à 12 heures par jour. Il suffit d'«informer les représentants des travailleurs». En matière de temps de travail, l'employeur décide de la durée des équipes (article 84), des horaires de travail (article 88),des horaires des équipes (article 90), etc. Des pouvoirs aussi étendus de l'employeur pour déterminer la durée du temps de travail conduiront à des abus et à des heures supplémentaires injustifiées.
La flexibilité menacée
L'intention des auteurs de donner aux parties une liberté excessive dans la détermination des conditions du contrat de travail suscite de vives inquiétudes. En acceptant certaines conditions de travail, le salarié risque de se retrouver dans une position désavantageuse vis-à-vis de l'employeur. Par exemple, le contrat de travail peut prévoir des motifs de suspension du contrat sans paiement du salaire (article 60), des motifs d'heures supplémentaires obligatoires (article 88), des cas de rappel pendant les périodes de congé (article 96), le fractionnement du congé annuel (article 96), le paiement des congés (article 104), etc.
Les employés seront tenus de respecter ces obligations et, en cas de violation flagrante, ils seront passibles d'un licenciement immédiat (article 68). Ce pourrait être le cas, par exemple, à la suite de la divulgation d'un secret commercial. L'article 54 permet à l'employeur, sans aucune justification, de proposer un changement des conditionsde travail et de l'introduire dans un délai d'une semaine : l'employeur peut ainsi se dispenser d'obligations «inutiles» sans même modifier les termes du contrat de travail avec un employé. En effet, en présence de «circonstances de force majeure», l'employeur peut suspendre les obligations des conventions collectives et des accords collectifs (sectoriels) (articles 176, 184).
Redondance accélérée
La résiliation du contrat de travail sera formalisée par la conclusion d'un accord complémentaire (article 62). En particulier, l'employeur peut licencier un salarié pour des «raisons économiques"» abstraites, moyennant un préavis de 60 jours (si le contrat de travail est conclu pour une période inférieure ou égale à quatre mois, un préavis de cinq jours s'applique). Parmi les garanties accordées aux salariés en cas de résiliation du contrat de travail à l'initiative del'employeur (article 74), il n'y a pas d'interdiction de licenciement pendant les vacances ou les congés de maladie. Les travailleurs ayant des enfants âgés de plus d'un an et demi peuvent être licenciés pour des motifs généraux, ce qui réduit considérablement le niveau des garanties par rapport à l'actuel article 184 du Code du travail. L'obligation pour l'employeur de tenir compte du droit impérieux de rester au travail lors du licenciement a été supprimée (en particulier, le niveau de qualification, l'ancienneté, la situation familiale, etc. ne doivent pas être pris en compte). En même temps, il n'est pas nécessaire de proposer un autre poste vacant !
Cela évitera à l'employé de devoir prouver une violation de la loi en cas de licenciement illégal. Si un salarié a un contrat de travail à durée déterminée d'une durée maximale de quatre mois, il peut être licencié s'il est absent pour cause de maladie pendant 15 jours ouvrables consécutifs (article 69 du projet). La procédure d'accord avec le syndicat pour le licenciement du salarié, prévue à l'article 73 du projet, est pratiquement sans effet : l'employeur a le droit d'informer le syndicat six jours ouvrables avant la date prévue pour le licenciement et peut entamer des consultations. L'article 83 affaiblit considérablement les incitations au paiement final en temps voulu en cas de licenciement. Au lieu d'une pénalité correspondant au salaire journalier moyen pour chaque jour de retard, une pénalité de 0,5 % du montant dû pour chaque jour de retard est introduite.
Économies en matière de santé et de sécurité
Par rapport à l'article 4 de la loi actuelle sur les congés, l'article 94 du projet ne prévoit pas de congés tels que : des congés supplémentaires pour le travail dans des conditions de travail défavorables et difficiles ; des congés supplémentaires pour la nature particulière du travail ; des congés sabbatiques ; des congés pour la préparation et la participation à des compétitions [sportives]. Cela aura un impact négatif sur le bien-être et la motivation des employés. Le montant minimum des dépenses pour la protection industrielle est annulé ! Les employeurs ne sont tenus de financer les mesures de sécurité et de santé des employés sur le lieu de travail que jusqu'à concurrence du montant nécessaire à cette fin (article 155 du projet). Il n'existe pas de norme similaire à celle de l'article 160 du Code du travail, qui précise que l'employeur est responsable du contrôle permanent du respect par les salariés des exigences des actes réglementaires sur la protection du travail. Par conséquent, il sera plus difficile de prouver qu'un dommageindustriel s'est produit en raison du manquement de l'employeur à ses obligations et d'obtenir de lui des dommages moraux.
Lorsque l'État exige un sacrifice de ses citoyens, il porte atteinte à leur droit de gagner leur vie et de subvenir aux besoins de leur famille. L'approbation d'un tel document par le Cabinet des ministres de l'Ukraine et son transfert ultérieur à la Verkhovna Rada de l'Ukraine est un signe de mépris des normes européennes et du rôle des syndicats ukrainiens. Le nouveau Code du travail ukrainien aidera les employeurs les plus insolents à "riposter" contre les demandes croissantes de leurs employés, mais il ne rapprochera pas la croissance économique. La crise économique actuelle est causée, entre autres, par la pénurie de main-d'œuvre, et de telles réformes ne feront qu'aggraver la situation. Les propriétaires du capital ont choisi le moment le plus propice pour promouvoir leurs réformes : lorsque l'attention du peuple ukrainien est concentrée sur la guerre en cours et que les politiciens ne sont pas retenus par la perspective d'élections ou de manifestations.
Nous aimerions croire que dans les conditions de l'intégration européenne, toutes ces questions seront correctement évaluées par la communauté internationale et que les travailleurs ukrainiens trouveront une nouvelle incitation à s'unir en force pour sauver leurs droits des prédateurs capitalistes.
Le 18 janvier 2024. Source : Social Movement website Traduction : Patrick Le Tréhondat pour le RESU.