Débats du Comité international

par Antoine Larrache, Léon Crémieux

La réunion du Comité international de la IVe Internationale s’est tenue du 21 au 25 octobre. Elle a rassemblé plus de 80 camarades de plus de 30 pays des différents continents.

C’était la première réunion en présence physique depuis l’épidémie de Covid. Les deux dernières années, les réunions avaient eu lieu en visioconférence, ce qui avait permis de rassembler un très grand nombre de camarades, puisqu’il n’y avait pas l’obstacle des visas et des coûts de transport, mais il faut reconnaître que les réunions physiques sont d’une qualité humaine et politique bien supérieure. Nous avons pu accueillir de nouvelles organisations observatrices, du Brésil, d’Irlande, des États-Unis. Une vingtaine d’organisations n’ont pas pu participer, notamment en raison des politiques de restriction de visas.

La réunion s’est tenue dans le contexte d’une situation internationale particulièrement complexe, celle d’une crise multidimensionnelle dont les guerres en Ukraine et en Palestine, mais aussi au Myanmar et les situations aux Philippines, en Indonésie, en Inde, moins connues en Europe, montrent l’ampleur de la violence.

Mais la rencontre de militant·es de tant de pays qui mènent les batailles pour un autre monde, discutant des moyens de faire évoluer le rapport de forces, produit des dynamiques humaines et militantes qui permettent d’envisager une contre-offensive.

La discussion a été structurée par quatre grands débats, dans la perspective du congrès mondial qui doit avoir lieu en 2025. Le premier concernait le manifeste écosocialiste qui propose un programme révolutionnaire adapté à la période actuelle, le second l’analyse de la situation mondiale, le troisième la construction des mouvements de masse et le quatrième les tâches de construction de l’Internationale.

Vers un programme actualisé pour le renversement du capitalisme

La réunion a débuté par une discussion concernant la préparation d’un manifeste écosocialiste de la IVe Internationale que nous souhaitons adopter lors du prochain congrès. Il s’agit, à partir de l’analyse de la situation mondiale, de formuler des perspectives révolutionnaires adaptées à la période. Le texte est un outil pour discuter au sein de l’Internationale, entre ses sections mais aussi à l’intérieur de chaque section, puis de se tourner vers l’extérieur, de redonner de la force à un projet alternatif au capitalisme. En effet, malgré la crise profonde et multidimensionnelle du système, malgré les grandes mobilisations qui existent dans le monde, il n’y a pas aujourd’hui d’alternative positive, de projet qui rassemble le prolétariat. Nous voulons contribuer à reconstruire une telle perspective, en donnant des éléments sur la société que nous voulons.

Le manifeste rappelle la démarche transitoire qui a prévalu dans notre tradition, faisant le lien entre d’un côté les revendications immédiates, les préoccupations des masses, et de l’autre la remise en cause du capitalisme, de la propriété privée des moyens de production et de l’État, par le biais d’une série de mots d’ordre, de projets concrets qui tracent la voie vers une autre société. Pour chaque élément, il s’agit de réfléchir à une démarche permettant la mobilisation, l’auto-activité du prolétariat, son émancipation, une démarche de réappropriation sur le plan politique et culturel autant que matérielle.

C’est le cas pour ce qui concerne les mots d’ordre sociaux, des salaires à la protection sociale, et dans tous les domaines.

Le document en cours de rédaction a détaillé les mots d’ordre concernant la nécessité d’un programme mondial de décroissance juste, écosocialiste, la réorganisation du travail et de la production, l’égalité ; un programme de développement anti-impérialiste dans les pays dominés ; ainsi qu’une actualisation de la stratégie de prise du pouvoir, faisant le lien entre les résistances sociales, les expériences alternatives à Mindanao, au Rojava, au Chiapas, et la nécessité d’une stratégie de renversement de l’ordre établi, d’une prise du pouvoir par le prolétariat, basée sur l’auto-organisation, l’auto-émancipation comme but mais aussi comme stratégie pour permettre les changements sociaux.

Une situation de crise profonde du système

Après une journée de réunions continentales et l’habituelle réunion non mixte des femmes, la plénière a redémarré avec un échange liant les différents éléments de la situation : pandémie et crise écologique, crise économique et ses conséquences sur les luttes sociales, montée de l’extrême droite et des courants néofascistes ou ultra-autoritaires dans différents pays, et bien sûr les guerres. La montée de l’autoritarisme est analysée dans ce cadre : « les fractions de la bourgeoisie du monde entier ont émergé et se sont développées pour soutenir le néofascisme en tant que solution politico-idéologique capable de durcir les régimes, de contrôler les mouvements de masse d’une main de fer, d’imposer des ajustements brutaux et des dépossessions afin de récupérer le taux de profit. » Tandis que la crise économique constitue potentiellement les prémices de nouvelles crises de paiement de la dette au niveau régional, voire mondial, avec les conséquences que cela aurait sur les classes populaires.

Les guerres actuelles sont un signe de la « reconfiguration de l’ordre géopolitique mondial » en cours. Celle-ci tend à se structurer autour de l’affrontement entre le bloc dirigé par les États-Unis et celui en construction autour de la Chine. D’autres puissances impérialistes jouent un rôle important, en particulier l’Union européenne, et la Russie avec la guerre en Ukraine. Mais l’élément clé est la capacité de la Chine à contester la domination des impérialistes occidentaux dans leurs sphères d’influence historiques. Le CI écarte les orientations campistes qui peuvent exister dans certains courants, qui prétendent que la Russie ou la Chine joueraient un rôle objectivement progressiste face au bloc occidental. En réalité, les affrontements entre les impérialistes n’apportent que des malheurs aux peuples et, tout en nous opposant à l’OTAN et à tous les accords impérialistes, nous soutenons les luttes des peuples opprimés en Ukraine, au Soudan, en Palestine, etc.

Quelques semaines après l’offensive du 7 octobre, le CI a voté une motion faisant le lien entre Ukraine et Palestine, parce que nous dénonçons aussi bien les offensives militaires de la Russie que d’Israël, et nous défendons le droit des peuples à se libérer, les armes à la main, même si nous ne partageons pas l’orientation politique du gouvernement ukrainien et du Hamas.

Reconstruire les mouvements sociaux face à l’exploitation et aux oppressions

Le débat suivant concernait l’intervention dans les mouvements sociaux. Pour l’essentiel il s’agissait, dans la période actuelle de crise du mouvement ouvrier à l’échelle internationale, de discuter de la nécessité pour les révolutionnaires de contribuer à la reconstruction de la conscience de classe et de ses organisations. Ce qui signifie construire les organisations pour elles-mêmes, pour ce qu’elles apportent au rapport de forces et à la structuration du prolétariat, notamment en s’aidant mutuellement, en étant le creuset des revendications anticapitalistes transitoires et de l’auto-organisation.

L’introduction et la discussion ont également mis en garde contre les dangers d’institutionnalisation – c’est-à-dire d’intégration à l’appareil d’État ou aux compromis avec la bourgeoisie – et de bureaucratisation.

Il s’agissait aussi de définir des principes pour notre intervention dans ces mouvements sociaux. En plus de contribuer à les construire sincèrement, d’aider à ce qu’ils se coordonnent, nous intervenons pour défendre des principes démocratiques, pour combattre la fragmentation et le gauchisme et pour avancer, dans le respect des rythmes de débats, des mots d’ordre politiques remettant en cause le système. Les syndicats sont le principal outil d’organisation du prolétariat, mais nous avons également discuté de l’intervention dans les mouvements féministes – particulièrement dynamiques depuis quelques années –, les mouvements paysans, indigènes, écologistes, antiracistes, LGBTQI, des personnes handicapées, et devons poursuivre d’ici le congrès la discussion, notamment sur les mouvements de jeunes, pour les services publics, contre la dette et contre la guerre.

Renforcer l’Internationale et ses sections

La dernière discussion abordait les tâches de construction de l’Internationale. Il s’agit, partant du contexte politique mondial, de la nécessité comme de la possibilité de faire apparaître un projet alternatif à l’échelle internationale, de renforcer la visibilité de l’Internationale et de ses positions. Nous avons franchi quelques étapes avec la mise en place du site fourth.international, principalement en anglais, en français et en castillan, mais aussi une actualisation très régulière en arabe notamment. Nos sites d’actualité Punto de vista international, International Viewpoint, Inprecor, notre participation à différentes autres revues en ligne, ainsi que l’édition de livres, nous permettent de promouvoir des prises de position et des analyses sur différents sujets. Nous avons décidé de renforcer notre présence avec la mise en place d’équipes de travail plus régulières.

Enfin, le document et le débat ont fait état du travail de renforcement des instances comme le Bureau exécutif, le secrétariat – désormais largement international grâce à la visioconférence –, les coordinations régionales, les commissions thématiques. Il rappelle aussi les efforts nécessaires dans la formation, avec les écoles construites autour des instituts d’Amsterdam, de Manille et d’Islamabad, dans le travail jeune et dans la reconstruction de campagnes d’action internationales, en retrait depuis le recul du mouvement altermondialiste.

Enfin, nous avons repris les discussions sur la nécessité d’actions positives pour les femmes – et les autres personnes souffrant de l’oppression patriarcale – avec les réunions non mixtes, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la préoccupation de renforcer la présence des femmes dans les instances. Ces discussions ne sont pas simplement théoriques, elles lient les questions de principes avec des discussions concrètes sur les problèmes que nous rencontrons et comment les résoudre. Avec la volonté également d’étendre ces préoccupations à l’ensemble des sphères opprimées.

 

On peut dire ainsi que, après la pandémie qui a, de fait, freiné une série d’activités de l’Internationale, ce Comité international a été l’occasion de reprendre le chemin d’une adaptation de l’Internationale aux évolutions de la crise du capitalisme, aux acquis des luttes sociales et à l’actualisation de son projet politique et militant. Il est maintenant de notre responsabilité collective, en tant qu’instances de direction et comme militant·es de base, de faire fructifier ces débats, les alimenter, les percuter de nos expériences, pour renforcer le rôle de notre organisation dans le combat pour l’émancipation humaine. 

 

Le 22 novembre 2023

 

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