Nouveau glissement à droite aux législatives

par Alex De Jong

Comme on pouvait s'y attendre, les élections néerlandaises du 15 mars ont montré un glissement à droite - mais d'une manière un peu différente que prévu. La crainte que le PVV (Partij voor de Vrijheid, Parti pour la liberté) d'extrême droite de Geert Wilders ne devienne le plus grand parti n'est pas devenue réalité. Wilders a remporté 5 sièges supplémentaires, passant de 15 à 20 sièges sur 150. Le parti de droite VVD (Volkspartij voor Vrijheid en Démocratie, Parti populaire pour la liberté et la démocratie) du Premier ministre en exercice Mark Rutte a perdu 8 sièges mais avec 33 sièges reste le plus grand parti.

L'événement le plus remarquable a été l'implosion du PvdA de centre-gauche (Partij van de Arbeid, Parti travailliste) de 38 à 9 sièges. Cette perte est plus importante que prévu, le parti a battu son propre record de 2002 et a subi la plus grande perte électorale dans l'histoire politique hollandaise. Mais que le PvdA perde tant était prévu. Aux élections de 2012, le parti s'était positionné à gauche pour contrecarrer le programme de gauche du Parti socialiste (Socialistische Partij), mais il a ensuite choisi de former une coalition gouvernementale avec le VVD et a mis en œuvre pendant quatre ans des politiques de droite. Que le Parti travailliste soit sanctionné pour cela était à prévoir et on ne va pas pleurer.

Synthèse et articles Inprecor

Plus inquiétant est que le reste de la gauche n'a pas profité de l'implosion du PvdA. Beaucoup d'anciens électeurs du PvdA se sont tournés vers les partis de droite ou n'ont pas voté du tout. L'aile droite dans son ensemble a gagné de nouveaux sièges.

Pour de nombreux progressistes, la nouvelle de la croissance de GroenLinks (Gauche Verte, GL) de 4 à 14 sièges a été un éclat de lumière. Les sondages indiquent qu'un quart des électeurs déçus du PvdA ont choisi GL. GL a mené une campagne non seulement attrayante dans son style (courageux et optimiste), mais a également mis en avant des points politiques tels que le changement climatique, l'antiracisme et en général un rejet du nationalisme qui en est venu à dominer la politique néerlandaise.

GL a été formé dans les années 1990 par la fusion de différents partis de gauche dont le Parti communiste. Le parti est passé au centre politique et, au tournant du siècle, a embrassé un cours soi-disant " libéral progressiste ». En 2012, GL a soutenu une coalition de droite, lui permettant de mettre en œuvre des mesures d'austérité et des réformes néolibérales telles que le relèvement de l'âge de la retraite ainsi que l'envoi de la police néerlandaise en Afghanistan. Cette orientation a été sanctionnée lors des élections suivantes qui ont vu le parti perdre lourdement. Depuis lors, GL a de nouveau adopté un profil de gauche. Mais le parti n'a pas clairement dit au revoir à l'orientation antérieure et, pendant les élections, son leader Jesse Klaver a attaqué par la droite des personnes comme Yanis Varoufakis et Jeremy Corbyn. Il n'a pas non plus exclu la possibilité d'une coalition avec la droite.

Il est décevant que le Socialistische Partij (Parti socialiste, SP, d'origine maoïste) perde un siège, passant de 15 à 14. C'est la troisième élection nationale de suite où le SP perd des voix. Cette fois, la perte a été particulièrement grave car le PvdA, le rival le plus important pendant de nombreuses années du SP, a aussi perdu des dizaines de sièges. Pendant plus d'une décennie et demie, la stratégie du SP visait à capter la base du PvdA, mais cette stratégie a échoué lors des dernières élections. Politiquement, GL est considéré comme entre le PvdA et le SP. Il a réussi à attirer de nombreux électeurs déçus du PvdA avec une campagne au profil relativement de gauche, il n'est donc pas très convaincant de dire le SP est tout simplement trop à gauche pour ces électeurs. Au lieu de cela, GL les a séduits avec des thèmes qui sont négligés par le SP.

Nouveaux partis, nouvelles questions

L'un de ces thèmes était le racisme. Justifié ou pas, GL a l'image de parti de l'antiracisme et il ne fait aucun doute que cela fait partie de son attraction, non seulement pour les électeurs déçus du PvdA, mais aussi pour de nombreux jeunes qui ont voté pour eux. La campagne du SP a tenté de faire de la santé, une question qui implique le parti depuis déjà des années, une question centrale dans les élections, mais n'a pas réussi à l'imposer et le parti a été incapable de se développer. Le SP a non seulement négligé l'antiracisme, mais des figures éminentes du SP ont même accompagné des sentiments anti-immigration. Un député du SP a déclaré que le SP était pour " nos propres ouvriers d'abord ». Ces déclarations ont coûté des voix au parti.

Une autre question était l'écologie. Un autre parti de gauche a grandi dans les élections, le Partij voor de Dieren (Parti pour les Animaux, PvdD). Fondé en 2002, il a commencé en tant que parti d'une seule question : opposition à la cruauté envers les animaux et au traitement des animaux dans l'agroalimentaire. Il s'est transformé en un parti écologiste. Il est passé de 2 à 5 sièges, autre exemple d'un parti avec un profil idéaliste, et surtout écologique, attirant de nouveaux électeurs. Un point faible de ce parti est qu'en dehors du Parlement, il existe à peine et ne joue qu'un rôle très limité dans les mouvements écologiques. De plus, bien qu'il soit considéré comme plus radical que GL, ce parti ne lie pas non plus ses revendications écologiques aux luttes sociales ni à la contestation du capital.

Ces élections ont également vu participer un nombre inhabituellement élevé de nouveaux partis. L'un d'eux est Artikel 1, nommé d'après le premier article de la Constitution néerlandaise, qui déclare que tout le monde mérite l'égalité de traitement. L'antiracisme, ainsi que le féminisme et l'opposition à la discrimination des personnes LGBTIQ sont les questions centrales de ce parti. Artikel 1 est également remarquable pour le rôle éminent des personnes de couleur et des femmes en son sein. Sa tête de liste aux élections et porte-parole, Sylvana Simmons, est une femme noire néerlando-surinamienne connue pour son militantisme antiraciste.

Cependant, ce parti a été formé peu de temps avant les élections et n'a pas réussi à gagner de siège. Cela a déçu beaucoup de personnes qui voient la nécessité de ses positions antiracistes de principe, mais n'était pas inattendu. Considérant qu'il n'avait que peu de temps pour se préparer, le 0,3 % qu'il a obtenu semble indiquer qu'il a un potentiel de croissance future.

Un autre nouveau parti est Denk (Pensez en néerlandais). Ce parti a été fondé par deux anciens parlementaires d'origine turque du PvdA et a remporté trois sièges. Il combine un programme socio-économique de centre-gauche avec une opposition à l'islamophobie. Simmons a été lié à Denk mais l'a quitté, disant qu'il n'y avait pas assez de place dans le parti pour le féminisme et les questions LGBTIQ. Le parti est souvent attaqué aux Pays-Bas comme une marionnette du président turc Erdoğan et supposé mou sur le fondamentalisme islamique. De toute évidence, beaucoup de ces attaques sont motivées par le racisme et l'islamophobie, même s'il est vrai que le parti est équivoque sur des questions telles que l'autoritarisme croissant en Turquie et le génocide arménien. Denk a notamment attiré des électeurs d'origine turque qui ont autrefois soutenu le PvdA.

Gains pour la droite

Un autre vainqueur clair des élections est un parti nommé D66, passant de 12 à 19 sièges. Ce parti est parfois considéré comme " progressiste » mais il soutient fermement les politiques économiques néolibérales. Cependant, il combine cela avec le féminisme libéral et la rhétorique antiraciste. Comme GL, le parti a attiré beaucoup de personnes qui estiment qu'il peut s'opposer à l'extrême droite.

L'extrême droite n'a pas fait autant que prévu, mais a encore progressé. Le PVV a augmenté ses sièges d'un tiers, en prenant des votes au VVD de centre-droit mais aussi au PvdA. Les élections ont été une déception pour Wilders, seulement par rapport aux attentes extrêmement élevées créées par les sondages et il est beaucoup trop tôt pour conclure que la montée de l'extrême droite a pris fin. En outre, un nouveau parti d'extrême droite, Forum voor Democratie, est entré au Parlement avec deux sièges. Le chef de ce parti, Thierry Baudet, cultive une image respectable et intellectuelle. Il représente un courant sexiste et raciste au moins aussi à droite que Wilders.

Le bloc d'extrême droite au Parlement s'est non seulement développé, mais deux des partis de centre-droit traditionnels, le VVD et le CDA chrétien-démocrate, ont mené des campagnes fortement basées sur le nationalisme, l'islamophobie et les sentiments anti-migrants. Il faut éviter de sous-estimer cette dynamique en concentrant l'analyse uniquement sur le nombre de sièges ou sur qui forme la coalition au gouvernement. Pour le CDA et le VVD, c'est le PVV de Wilder qui était l'aune à laquelle ils se mesuraient, et tous deux ont essayé de gagner les électeurs du PVV en se présentant comme la version " respectable » du programme anti-immigration et islamophobe de Wilders. Sans faire partie du gouvernement, le PVV est toujours l'un des partis les plus influents du pays. Le conflit diplomatique que le Premier ministre du VVD Mark Rutte a provoqué avec la Turquie a été une tentative réussie pour gagner les électeurs potentiels du PVV en se présentant comme un leader occidental fort qui s'oppose à un pays musulman.

Un centre réorganisé

Pendant des décennies, le centre politique néerlandais a été basé sur trois grands partis : le PvdA, le CDA et le VVD. L'un des piliers traditionnels de ce centre s'est effondré, et le CDA et le VVD n'ont plus la puissance des partis dominants traditionnels. Depuis 15 ans, le centre politique est sous pression, à gauche par le SP, et à droite par le PVV et ses prédécesseurs. En raison du système politique dans le pays (représentation proportionnelle à l'échelle nationale) des coalitions sont nécessaires pour former un gouvernement. Cependant, le déclin relatif du soutien aux partis du centre et la montée de nouveaux partis rendent ce système instable. Le précédent cabinet a été le premier depuis le tournant du siècle à terminer son mandat.

Le résultat des élections montre que le centre politique du pays est en cours de réorganisation. Les partis de centre-droit CDA et VVD se sont réinventés en reprenant des arguments de l'extrême droite.

La formation d'une nouvelle coalition dans ce paysage fragmenté sera difficile, car au moins quatre partis différents sont nécessaires pour former une coalition majoritaire. Quelle que soit sa composition exacte, le nouveau gouvernement des Pays-Bas sera de droite. Il donnera plus de pouvoir aux grandes entreprises, l'inégalité sociale et la précarité augmenteront. Ce sera combiné avec des politiques anti-réfugiés et anti-immigrés et la continuité du climat politique islamophobe et nationaliste existant. Cela signifie, entre autres, discrimination sur le marché du travail, violence policière contre les personnes de couleur et autres formes d'exclusion sociale des minorités. La droite et l'extrême droite continueront de bénéficier de cette dynamique.

Malgré les progrès de certains d'entre eux, aucun parti de gauche n'a de réponse adéquate à cette situation. Le SP pense que le racisme peut être ignoré, voire concédé. GroenLinks n'a pas renoncé de façon convaincante à son libéralisme économique antérieur. Il manque aussi des racines sociales et des liens avec les syndicalistes dont le SP dispose.

Compte tenu du déclin de la gauche parlementaire, les luttes sociales deviendront encore plus importantes. Le potentiel de tels mouvements a été démontré au cours des derniers mois, dans les mobilisations autour du changement climatique, du racisme et du TTIP. La Marche des Femmes à Amsterdam du 11 mars a été l'une des plus grandes manifestations de ces dernières années, avec plus de 15 000 personnes. Combiné à la construction de tels mouvements, la gauche hollandaise a besoin d'urgence d'un processus de discussion collective et de clarification politique. ■

* Alex de Jong, co-directeur de l'Institut international de recherche et de formation (IIRF/IIRE) d'Amsterdam, est membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale et rédacteur en chef de Grenzeloos, la revue de Socialistische Alternatieve Politiek (SAP, Politique socialiste alternative, section néerlandaise de la IVe Internationale). (Traduit de l'anglais par Laurent Duvin).