Les vents contraires font de la France une mer agitée

par Léon Crémieux

Depuis le début du mois de mars, la France est entrée dans une nouvelle situation. La précédente était plombée par la polarisation politique exercée par le Front national et la montée parallèle du climat sécuritaire postérieur aux attentats de janvier et novembre 2015.
Aucun de ces éléments n'a été gommé et il faudrait beaucoup d'aveuglement pour penser que tout cela a été balayé par le mouvement actuel.

20 mai 2016

Mais l'événement politique clef des dernières semaines est que, malgré justement ces deux éléments qui pèsent lourdement sur la vie politique et sociale, s'est développée une mobilisation multiforme mais d'ores et déjà méritant la comparaison avec les grandes mobilisations des travailleurs et de la jeunesse des 15 dernières années : celles de 2003, de 2006 et de 2010.

Jusqu'au mois de mars, on pouvait pressentir des prémices d'un affrontement social. D'abord avec le très important courant de sympathie rencontré par la mobilisation des salariés d'Air France avec l'épisode de la chemise en octobre 2015 (1). Dans la même période, le nombre de débrayages, de grèves, dans les entreprises, notamment petites et moyennes, avait repris une vigueur importante, entre autres sur les questions de salaires à l'occasion des négociations annuelles obligatoires. De même, la vigueur de la mobilisation climat autour de la COP21, même si les attentats de novembre et l'instauration de l'état d'urgence ont permis à l'État de briser l'élan des mobilisations de rues. Les grandes manifestations contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (2) et la mise en place de réseaux de soutien aux migrants ont aussi été le fait de dizaines de milliers de jeunes, de militants actifs et coordonnés par les associations et les réseaux sociaux.

La première leçon de ces réactions, de ces mobilisations était bien que la gestion des intérêts capitalistes par la social-démocratie, la faiblesse de toute opposition politique à gauche du PS et la léthargie des directions syndicales n'étaient pas synonyme d'une léthargie et d'une dérive équivalentes de tout le corps social, à commencer par une grande partie des salariés et de la jeunesse, durement frappés par les politiques de chômage et d'austérité. La situation témoignait déjà, par contre, de la coupure et du discrédit profond à l'encontre des partis institutionnels, partageant le bilan des gestions gouvernementales des deux dernières décennies. C'est ce discrédit, en l'absence de luttes sociales, qui a favorisé la montée régulière de l'abstention et du vote FN dans les couches populaires ces dernières années.

Sur le terrain social, depuis le début du quinquennat Hollande, beaucoup d'exigences du Medef (organisation patronale) concernant la législation du travail ont été mises en œuvre avec les lois Macron et Rebsamen, continuant le travail de détricotage des droits introduits notamment par les lois Fillon en 2008. L'adoption par les gouvernements socialistes de la doxa patronale sur " le coût du travail » a été le prélude à l'Accord national interprofessionnel instaurant les accords de compétitivité (ANI), tout autant de pas pour amener la France au niveau des autres pays européens en termes de remise en cause des droits sociaux.

La loi El Khomri, un détonateur social

Aussi, la loi El Khomri, au cœur de laquelle est plantée l'inversion de la hiérarchie des normes (3), est devenue un détonateur social. Évidemment, à cause de son contenu qui met à bas le principe de faveur, tout en étant porteur de nombreuses autres attaques, mais surtout, à cause de tous les autres éléments du contexte, elle a été un réel catalyseur.

Ce n'est pas le lieu d'en tracer les perspectives immédiates et il est bien trop tôt pour tirer un bilan de ce mouvement qui peut déboucher sur un affrontement majeur et sur une crise politique mais peut aussi bien échouer face aux nombreux freins existants.

Par contre plusieurs éléments peuvent être d'ores et déjà soulignés :

• Son déclenchement, tout d'abord. Il y a eu beaucoup de travail préparatoire fait par des réseaux militants, notamment par la Fondation Copernic, par des syndicats CGT et par Solidaires sur le rapport Combrexelle, le projet Badinter (4). Mais le facteur de mobilisation, le déclencheur et l'appel au 9 mars ont été clairement et directement le fait des réseaux sociaux avec la pétition dite " Caroline De Haas » (5).

• Ce qui est révélateur est le ton de la pétition exigeant clairement le retrait de la loi, la stigmatisant comme une attaque frontale, à comparer avec la déclaration du 23 février des directions syndicales. Celles-ci non seulement ne demandaient pas le retrait de la loi, mais seulement de quelques mesures, se plaignaient surtout de l'absence de dialogue et concluaient sur la nécessité que le gouvernement les rencontre… Sans aucun appel à la moindre mobilisation.

• De même l'appel à la première manifestation qui fut aussi l'occasion de nombreux appels à la grève est venu d'un appel parti des réseaux sociaux et soutenu très vite par les initiateurs de la pétition.

• Il faut insister sur ce point car ce qui pourrait paraître comme anecdotique est révélateur d'une orientation générale de passivité des directions syndicales confédérales (la position de Solidaires n'est pas à mettre dans le même panier). Celle-ci s'appuie évidemment sur le sentiment de pessimisme présent dans nombre d'équipes syndicales après l'échec de la dernière grande mobilisation de 2010 (échec qui était là aussi lié à la politique des directions confédérales) mais est le fruit d'une orientation générale par rapport aux politiques d'austérité qui se double depuis 2012 du refus de gêner trop fortement un gouvernement de gauche.

Aussi, les directions syndicales n'ont en rien cherché, avant l'annonce de cette loi, à préparer leurs équipes à une mobilisation par un travail d'explication, d'information, de sensibilisation des salariés… sans même parler d'un travail de préparation plus politique, tirant le bilan de 2010 et mettant en avant la nécessité d'un mouvement d'ensemble, d'une grève générale pour faire reculer le gouvernement. Deux mois plus tard, l'absence de ce travail se ressent encore. Il était d'autant plus nécessaire que la classe ouvrière et toutes les couches populaires ont accumulé depuis plus de 30 ans de nombreuses défaites sur le terrain social, suite aux multiples attaques libérales.

Les ressorts de la mobilisation

Mais d'autres éléments contradictoires sont bien présents et sont ceux sur lesquels s'appuient les ressorts de la mobilisation :

• La situation française est encore en décalage avec celle que connaissent les autres pays d'Europe dans lesquels le rouleau compresseur capitaliste a fait beaucoup plus de mal. Il existe une conscience large de tout ce qu'il y a encore à préserver, à ne pas perdre dans le domaine des services publics, de la Sécurité sociale, des règles d'emplois, de la législation du travail. De ce point de vue, la révolution culturelle néolibérale du Parti socialiste rencontre de nombreux obstacles, même dans ce qui lui reste de base électorale et de réseaux militants. Les réactions des frondeurs et des initiateurs de la pétition traduisent ce réflexe de sauvegarde venant de milieux proches du PS ou du Front de gauche.

• Les militants du mouvement social dans son ensemble gardent la mémoire des défaites mais aussi des fortes mobilisations des salariés et de la jeunesse. Le pays, jusqu'en 2010, a régulièrement connu des confrontations frontales, des salariés contre les réformes des retraites en 1995, 2003 et 2010, un puissant mouvement drainé par la jeunesse scolarisée en 2006 amenant à la victoire contre le CPE (contrat première embauche). Il faut d'ailleurs souligner que la victoire de 2006 contre le gouvernement Villepin fut obtenue après que le gouvernement avait fait passer en force sa loi grâce à l'article 49-3. La leçon est évidemment à retenir, puisque le gouvernement s'est engagé dans la même procédure qui va durer jusqu'à la fin du mois de juin (avec un passage obligatoire au Sénat et un retour à l'Assemblée nationale) (6).

• Beaucoup de jeunes et de moins jeunes des quartiers populaires gardent aussi la mémoire de la révolte urbaine menée par la jeunesse des quartiers populaires pendant 4 semaines en octobre/novembre 2005, après la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois. Dans ce mouvement de révolte, les jeunes ont vécu une coupure profonde avec l'essentiel des partis et mouvements, mis à part une partie de l'extrême gauche (dont la LCR). Cette coupure avec les quartiers populaires, stigmatisés à l'époque par Sarkozy, notamment avec les jeunes arabes et noirs, visés par toutes les campagnes sécuritaires mais aussi premières victimes du chômage et de la précarité, a perduré ces dernières années et a été décuplée par la vague d'islamophobie qui a déferlé depuis janvier 2016. Cette coupure est elle aussi visible dans le mouvement actuel, alors que, paradoxalement, ces jeunes avaient été très présents dans le mouvement de 2006, quelques mois plus tard contre le CPE.

• Éclatement des structures de résistance sociale, syndicale et politique. Jusqu'à la fin des années 1990 (la fin du XXe siècle donc…), le mouvement ouvrier, y compris politique, constituait un tissu, fait de nombreuses trames, tissu connaissant des déchirures mais gardant encore quelques référents communs issus de son histoire et de ses " grands " combats.

Les années 2000 et le retour de la social-démocratie aux affaires ont cristallisé en profondes coupures les déchirures antérieures. Cela entraîne notamment que les nouvelles générations militantes, souvent très radicales, insérées dans les combats migrants, antifa, climat, dans beaucoup de sections syndicales, notamment dans les secteurs précaires, ne vivent pas leur combat comme insérés dans un " mouvement ouvrier » défunt. Contradictoirement, alors que les vieilles générations militantes, absorbées par la politique institutionnelle, ont jeté aux orties leurs espoirs révolutionnaires, les nouvelles générations qui n'ont pas le même bagage traditionnel sont souvent dotées d'une solide conscience des méfaits de la barbarie capitaliste et toujours réceptifs aux arguments politiques sur la nécessité d'une transformation révolutionnaire. Cette conscience se double souvent d'une exigence très forte de démocratie réelle, le rejet de la délégation, héritage des fiascos du stalinisme et de la gestion social-démocrate. Reste un profond éclatement de ces jeunes générations (il n'y a pas une jeunesse, il y a des jeunes…). Clivage social, évidemment, qui se renforce du clivage des jeunes des quartiers populaires, racisés par la société en noirs, arabes et musulmans. Tous les jeunes n'étaient pas Charlie… Le mouvement actuel peut dépasser beaucoup de ces divisions, mais ce n'est pas encore réalisé.

• La restructuration du tissu économique, dans l'industrie et les services, a évidemment des effets redoutables sur les difficultés d'organisation et les éclatements de conscience. Aux éléments de déstructuration politiques du mouvement ouvrier s'ajoutent les déstructurations objectives (sous-traitance, éclatement des statuts…) dont les effets n'ont pas réellement été combattus par le mouvement syndical. Les difficultés d'extension de la mobilisation dans beaucoup de secteurs sont évidemment aussi liées à cette réalité qui affaiblit encore la conscience d'appartenir à la même classe.

Crise politique

Les dernières semaines ont aussi révélé le niveau atteint par la crise politique. Celle-ci est évidemment d'abord celle des partis institutionnels. Le désaveu permanent du gouvernement et du Parti socialiste se reflète dans le blocage que connaît le gouvernement, incapable de faire voter ses propres députés en soutien à sa politique (cela quelle que soit l'issue finale du débat parlementaire sur la loi El Khomri). Ce discrédit se reflète aussi dans les enquêtes d'opinion, dont la tendance est incontestable et fait de ce gouvernement et du couple Hollande-Valls les plus rejetés dans les sondages, sans doute depuis le début de la Ve République. Le corollaire de cette crise est évidemment la crise interne du PS mise en lumière par les débats ubuesques autour de la primaire à gauche - qui accentue la crise du PCF - et la place prise par Emmanuel Macron. Même le projet de Valls de faire rapidement évoluer le PS vers un correspondant transalpin du parti de Matteo Renzi se trouve perdre sa substance, doublé sur sa droite.

Cette crise trouve son symétrique dans la crise de Les Républicains… (7) Finalement pour les mêmes causes.

Aujourd'hui, tous les partis dominants en Europe sont frappés et attaqués à l'acide par des transformations imposées par la globalisation et les réformes libérales à la hache depuis 2008. Après la Grèce, l'Italie et l'État espagnol, à sa manière, la France entre dans la danse d'un discrédit atteignant une cote d'alarme. Cela pose évidemment la nécessité pour la bourgeoisie de restructurer son appareil politique, brisant des frontières qui apparaissent obsolètes.

En France, cette crise peut très vite se doubler d'une crise plus profonde des institutions, du système politique lui-même. Les institutions de la Ve République étaient forgées pour un système dominé par un parti, le même au Sénat, à l'Assemblée et à l'Élysée autour d'un régime fort et d'un Président fort. Avec la crise du gaullisme et le bipartisme dominant, il a fallu introduire la réforme de 2001 qui instaurait un régime présidentiel, soudant la majorité parlementaire au Président. Solution de crise pour résoudre les aléas de la cohabitation (8). Mais, là encore, cela supposait le maintien d'une suprématie des partis dominants.

Aujourd'hui, la montée de l'abstention et du Front national, le discrédit du Parti socialiste et de Les Républicains fragilise cet édifice. Il fait également ressortir que la France, malgré " les valeurs de la République » est, avec le Royaume-Uni, le pays qui a le système électoral le plus archaïque, avec l'élection au scrutin uninominal et l'absence de proportionnelle. La France est même pire que le Royaume-Uni puisque l'élection au suffrage universel d'un Président détenant un fort pouvoir politique fait de ce pays le seul dirigé par un monarque au sein des principaux pays de l'Union européenne.

Valls et Hollande ont tenté ces dernières semaines de juguler cette crise politique de diverses manières.

D'abord, en essayant de museler le Parti socialiste et son groupe parlementaire. L'utilisation du 49.3 pour l'adoption en première lecture de la loi El Khomri visait évidemment à écourter un débat politique public qui fragilisait encore davantage le gouvernement. Mais il visait aussi à mettre au pas la minorité des " frondeurs » du PS, sommés de choisir la soumission ou la rupture par le dépôt et le vote d'une motion de censure. Dans les faits, pour un temps, l'opposition interne au PS a esquivé le problème. Seuls 28 députés du PS (sur plus de 40 frondeurs) ont soutenu le dépôt d'une telle motion. Le texte d'une motion de censure doit rassembler 10 % des députés pour être soumise au vote. La motion de gauche n'a rassemblé que 56 députés au lieu de 58… Dans tous les cas, le PS s'enfonce dans sa crise.

Par ailleurs, alors qu'il s'affaiblit politiquement, le gouvernement cherche à affirmer d'autant plus son autorité en faisant donner les forces de répression. Les dernières semaines ont vu une montée crescendo des violences policières, de l'affirmation du pouvoir d'État policier, renforcé par la prolongation de l'état d'urgence qui se retourne directement contre le mouvement, les grèves et les manifestations. Les medias, aux mains du gouvernement et des grands groupes, servent de relais direct à une propagande masquant les violences policières, orchestrant une campagne contre les " casseurs » tout en cherchant à criminaliser le mouvement.

Cet autoritarisme tend à masquer la faiblesse de ce gouvernement et du PS. Faiblesse dans ses rangs, faiblesse à l'Assemblée et faiblesse dans sa propre base sociale.

Aussi le dernier élément caractérisant ce mouvement, présent notamment dans les débats des Nuits debout, est le profond décalage entre les exigences de démocratie, de choix de décision fait par les concerné-e-s et non par des responsables incontrôlables, et la réalité du système et de ses institutions. Il apparaît à la fois que le système politique est profondément antidémocratique et par ailleurs que la réalité du pouvoir réside évidemment en dehors des assemblées élues. Les banques et les multinationales, les centres de pouvoir capitalistes, non seulement font les lois, mais s'en exonèrent elles-mêmes.

Le rejet du système financier, des choix d'énergie, de la fermeture des frontières, des politiques de chômage et de précarité sont ainsi des ingrédients qui alimentent un rejet du système politique, mais aussi du système capitaliste. Cela est latent dans la société et patent dans des lieux d'expression comme les Nuits debout.

Donc ce mouvement recèle beaucoup de forces et de faiblesses. Les semaines à venir diront ce qui prendra le dessus.

Nécessité et absence d'une représentation politique des exploités et des opprimés

Cela ne fait que mettre en relief la nécessité et l'absence d'un parti politique ayant une parole et une action qui unifie, fédère toutes ces différences en gardant le cap sur ce qui fait un moteur commun et doit donner un but commun : le combat général contre un système politique qui produit les Panama Papers, Calais et les milliers de migrants tués en mer Égée, les dérèglements climatiques, la précarité et la misère sociale…

Le mouvement qui se développe remet en cause à la fois les finalités et les structures du système économique et social capitaliste, dénonce la réalité des lieux de pouvoir et les règles antidémocratiques de la vie politique et des prises de décision.

Il pose donc la question d'une représentation politique des exploités et des opprimés et d'un projet de société à la hauteur des exigences qui apparaissent. Les luttes sociales des derniers mois (climat, migrants, Notre-Dame-des-Landes, El Khomri, très nombreuses grèves) posent toutes des éléments de résistance au système, des exigences, des revendications et tracent les voies d'une société guidée par la réalisation des besoins sociaux et se dotant des outils politiques de réalisation de ces besoins, outils de démocratie réelle, de choix, de débats et de décisions. Luttes sociales et perspectives politiques (politiques pas électorales) s'y mêlent en permanence. Tous ces éléments de combat, de résistance se heurtent à la fois à une société de classe, brutale, déterminée à maintenir et à accroître l'exploitation et forgeant et reforgeant les institutions nationales et européennes pour qu'elles soient un lieu de pouvoir sans partage, entièrement dévouées au maintien du système, échappant de plus en plus à tout contrôle démocratique et populaire. L'expérience grecque, le rejet des migrants, les Panama papers, le Tafta ont mis en lumière, en moins d'un an, beaucoup d'éléments du fonctionnement réel de cette société. Le débat sur ces questions est indispensable parmi celles et ceux qui sont depuis des années les militant-e-s des mouvements sociaux. Il est indispensable parmi la jeune génération qui par des chemins différents se pose les mêmes questions stratégiques.

Chose rare, les questions institutionnelles se discutent dans les rues et parmi les milieux militants. Les institutions françaises actuelles se dressent ouvertement comme un obstacle face à la volonté populaire. L'exigence de décider se double de celle d'avoir des outils de décision démocratiques permettant la réelle expression des choix populaires. De même l'expérience grecque montre bien qu'au niveau européen, les institutions capitalistes imposent leur décision contre la volonté de tout un peuple. En cela, toute idée du " bon candidat pour le bon programme » est aux antipodes des débats actuels. Tout comme une stratégie institutionnelle fondée sur des victoires électorales permettant la mise en œuvre, dans le respect des institutions, d'une politique opposée aux capitalistes relève du rêve. Une force anticapitaliste ne peut que fonder sa force sur le mouvement social, son action et sa mobilisation politique, seule capable de s'affronter réellement au système. Cela impose de mettre en avant des exigences " transitoires » qui s'en prennent au cœur du système d'exploitation capitaliste, aux oppressions sociales qu'il structure et aussi aux institutions et aux règles antidémocratiques du système politique ; des exigences transitoires qui tracent la voie d'une société débarrassée de l'exploitation capitaliste et capable de faire disparaître les oppressions. ■

* Léon Crémieux, syndicaliste de l'Union syndicale Solidaires et militant du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France), est membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale. Cet article, écrit pour la revue Inprecor, paraît dans son n° 627/628 de mai-juin 2016.

notes
1. Le 5 octobre 2015, les salariés d'Air France manifestent devant le CCE (comité central d'entreprise) qui doit annoncer des suppressions d'emplois. Le CCE est interrompu et alors que les patrons tentent de s'échapper, la chemise du DRH (chef du personnel) est arrachée. Le contraste entre la violence patronale, son refus de discuter, le ridicule DRH torse nu et la répression qui frappe 5 salariés menacés de licenciement provoque dans tout le pays un grand mouvement de soutien. Des chemises déchirées sont encore brandies dans des manifs.

2. Les opposants à un projet d'aéroport à côté de Nantes, en Bretagne, occupent le terrain depuis 2009. Ils en font un lieu de vie alternatif, c'est la première de nombreuses ZAD (zone à défendre) contre les GPII (grands projets inutiles imposés). Elle est un symbole très fort par le grand soutien qu'elle suscite, les très nombreuses manifestations et la violence de la répression gouvernementale (le Premier ministre Ayrault était maire de Nantes et ardent défenseur du projet et de la multinationale Vinci qui a déjà reçu beaucoup d'argent public pour construire cet aéroport).

3. Le projet de loi indique que " la primauté de l'accord d'entreprise en matière de durée du travail devient le principe de droit commun » ; c'est donc la fin du " principe de faveur » : une norme inférieure (le contrat) ne peut déroger à une norme supérieure (la loi, l'accord de branche) que si, et seulement si, elle lui est plus favorable.

4. Les textes qui en 2015 ont préparé la loi El Khomri.

5. Lancée par des militants associatifs et syndicalistes, notamment la féministe Caroline de Haas, la pétition en ligne " Loi travail : non, merci ! » a recueilli plus d'un million de signatures en deux semaines, battant tous les records en France. Lancées aussi en ligne, " On vaut mieux que ça ! », les manifestations du 9 mars rassemblent 500 000 personnes (224 000 selon la police), avec une majorité de jeunes en tête.

6. L'article 49-3 de la Constitution permet au gouvernement de faire passer une loi sans débat ni vote au Parlement. Les députés peuvent s'y opposer en présentant une motion de censure : si elle est majoritaire, le texte est rejeté et le Gouvernement est renversé. Hollande a utilisé le 49-3 pour cette loi, pour la 2e fois, alors qu'il l'avait dénoncé avant d'être élu président comme " déni de démocratie ». 7. Sarkozy a décidé de donner ce nom au grand parti de la droite, l'UMP.

8. Ce mot désigne la situation où les deux têtes de l'exécutif, président de la République et gouvernement, appartiennent respectivement à des groupes politiques opposés.