Dans les villes et les quartiers populaires, un raz-de-marée pour le Non

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Laura Varlet : Hier, les Grecs ont voté à plus de 60 % pour le Non lors du référendum. Qu'est-ce que cela traduit ?

Manos Skoufoglou : C'est clair que c'était un vote de classe. Si on regarde les résultats dans le détail, on voit clairement que les travailleurs des villes et quartiers populaires ont voté massivement pour le Non, et ce à plus de 70 %. Dans les quartiers les plus riches d'Athènes par exemple, c'était exactement l'opposé : 70 %, voire plus ont voté Oui. La question dans le référendum en tant que telle n'était pas très claire, elle était trompeuse parce qu'elle concernait uniquement la proposition que la troïka avait faite il y a dix jours, mais elle n'incluait pas la proposition faite par le gouvernement. C'était donc trompeur parce que si on votait Non, le gouvernement allait essayer de rouvrir les négociations avec la troïka et c'est ce que Tsipras est en train de faire maintenant, d'ailleurs. Malgré tout, le référendum s'est transformé en un affrontement social et de classe entre les travailleurs et les classes dominantes. Et il a aussi montré que les secteurs moyens de la société, ce qu'on peut appeler la petite bourgeoisie, ont tellement perdu pendant la crise qu'ils n'ont plus peur de la faillite, de la panique bancaire ou de la sortie de la zone euro. Les secteurs les plus paupérisés des classes moyennes ont ainsi voté Non avec les travailleurs.

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Laura Varlet : Qu'en est-il de l'attitude de Tsipras et, plus généralement, du gouvernement, avec la démission de Varoufakis ce matin ?

Manos Skoufoglou : Le gouvernement de Tsipras n'a pas voulu de ce référendum. Il a été obligé de le faire parce que sa tactique de négociation n'a pas fonctionné. Ce que Syriza a essayé de faire ces derniers jours a consisté à trouver la façon de redistribuer le fardeau des nouvelles mesures austéritaires sur l'ensemble des classes sociales. Le gouvernement propose donc de taxer les riches et les entreprises, d'un côté, et, de l'autre, de faire de nouvelles coupes dans les salaires et les retraites, de privatiser les ports et les aéroports, d'augmenter la TVA, l'âge de départ à la retraite, etc. Tsipras n'a pas tenu ses promesses de ne mener aucune attaque contre les travailleurs. Le gouvernement a voulu voir comment trouver un compromis pour redistribuer le fardeau sur tout le monde.

Néanmoins, l'Union européenne, la bureaucratie et les technocrates de la bourgeoisie ne pouvaient pas l'accepter parce qu'il ne s'agissait pas juste d'une question de mesures à prendre. L'enjeu réel se trouve dans le fait d'empêcher un quelconque espoir ou expectative quant au fait qu'il est possible d'échapper à l'austérité. D'où les pressions sur le gouvernement qui s'est trouvé dans une situation difficile. Il voulait signer, c'était évident, craignant que le système économique ne s'effondre. Le gouvernement ne cherche en aucun cas à rompre avec les lois du capitalisme, ce qui aurait pu se faire par le bais de la nationalisation immédiate des banques, par exemple. Le gouvernement ne voulait pas de ça. Il voulait un accord. Or, un accord aurait impliqué un suicide politique parce que les Grecs n'ont pas voté en janvier pour ce gouvernement pour qu'il prenne ce type de mesures. Il n'y avait donc aucune autre issue que le référendum.

Tout au long de la semaine, c'était assez clair que Tsipras cherchait un compromis en faisant du chantage avec la question du référendum. En milieu de semaine, il envisageait encore de revenir sur le référendum si les négociations étaient relancées. Heureusement, ce n'est pas arrivé et on a eu ce grand Non. Mais, ce matin, à nouveau, Tsipras a appelé les dirigeants des partis politiques présents au Parlement, mis à part Aube dorée, afin de discuter de la démarche à suivre.

Syriza n'a pas seulement appelé les Grecs Indépendants (ANEL), ses partenaires de droite au sein du gouvernement, mais aussi la Nouvelle Démocratie et le Pasok, qui ont soutenu l'ancien gouvernement, de même que To Potami, qui est un nouveau parti capitaliste soutenu par l'Union Européenne. Le gouvernement essaye de trouver une solution d'union nationale, ce qui ne veut pas forcément dire qu'il va former un nouveau cabinet mais qu'il cherche un consensus quant à la nouvelle proposition à faire à l'UE. Varoufakis a démissionné, non pas parce qu'il a rompu sur la gauche avec Tsipras, mais il s'agit d'un symbole d'une nouvelle concession du gouvernement grec face à la pression de Bruxelles.

Tout ceci montre que le gouvernement essayera d'utiliser le Non pour son propre intérêt et pour négocier dans une situation plus favorable. Le problème est que ce n'est pas ce que les gens veulent. Leur Non est un Non contre l'austérité tout court.

Laura Varlet : Hier, après les résultats du référendum, beaucoup de travailleurs et de jeunes se sont rassemblés sur la place Syntagma et sont descendus dans la rue. Quel est le ressenti de la population ? Qu'attendent les travailleurs grecs de ce résultat ?

Manos Skoufoglou : C'est bien sûr le soulagement et l'espoir. Ils attendaient la victoire du Non lors de ce scrutin mais ils ne savaient pas que ça allait se faire avec une différence aussi importante de plus de 20 %. Ils se sont rassemblés sur la place Syntagma à Athènes et sur d'autres places, partout dans le pays. C'était une victoire. Tout le monde était également content du fait que l'ancien Premier ministre, Antonis Samaras, ait dû renoncer à la direction de son parti, la Nouvelle Démocratie. En même temps, les plus conscients parmi les travailleurs savaient déjà que le pas suivant serait difficile parce que le gouvernement allait entamer un deuxième round des négociations, et en raison des chantages que l'Union européenne et la bourgeoisie continuent de faire peser contre le peuple grec.

Laura Varlet : On a appris que la confédération nationale du secteur privé, GSEE, a pris position pour le Oui et a fait la campagne ouvertement. Qu'en penses-tu ?

Manos Skoufoglou : Il s'agit d'une question très importante. La bureaucratie des confédérations syndicales nationales a déjà trahi, de par le passé, mais cette trahison a une importance historique car il s'agit de quelque chose de différent. Auparavant, les directions syndicales se sont souvent positionnées contre les mesures d'austérité, du moins dans leur discours, même si derrière elles ne faisaient pas grande chose pour les combattre et elles se sont toujours débrouillées pour faire baisser la pression et canaliser la colère des travailleurs. Mais cette fois-ci, c'est la première fois où elles prennent ouvertement position pour la bourgeoisie. C'est pourquoi nous avons décidé d'organiser une manifestation devant leur local national afin de les dénoncer.

Néanmoins, il y a eu quelques syndicats qui ont pris position contre la confédération nationale, par exemple la Fédération nationale des travailleurs communaux, ainsi que plusieurs syndicats locaux. La Fédération nationale des enseignants, par exemple, a dénoncé la prise de position de la Confédération. Néanmoins, le Syndicat des travailleurs des banques a pris position pour le Oui et plusieurs syndicats n'ont pas pris position. Cela veut dire que les travailleurs ont dû faire face à une alliance de tous les partis de la classe dominante qui ont fait campagne pour le Oui. Ils ont dû faire face à l'Union européenne et à tous les grands médias privés qui ont tout fait pour terroriser le peuple. Parallèlement, les travailleurs ont dû faire face à la politique des directions syndicales, ce qui a donné une portée toute particulière et symbolique à la victoire du Non. Et cela rend notre tâche encore plus urgente et importante. Aujourd'hui, il nous faut continuer à batailler pour un véritable Non et empêcher les réformistes et les sociaux-démocrates de Syriza de le faire glisser vers le Oui .

Laura Varlet : Des secteurs de la classe ouvrière et de la jeunesse commencent à tirer des leçons de la politique de Tsipras et de Syriza au pouvoir ? Commencent-ils à voir, aujourd'hui, la nécessité d'aller plus loin dans la bataille contre la troïka et l'austérité ?

Manos Skoufoglou :De son côté, le Parti communiste s'est pas mal ridiculisé en appelant à l'abstention. Selon certains sondages, plus de deux tiers de sa base électorale n'a pas suivi ses consignes de vote. Je crois qu'il existe une réelle possibilité que certains secteurs rompent avec le Parti communiste et aussi avec Syriza et commencent à chercher une alternative anticapitaliste. Il existe quelques symptômes de cela. Par exemple, jeudi dernier, l'extrême gauche anticapitaliste a organisé une manifestation importante à Athènes pour le Non mais aussi contre tout accord et contre l'Union européenne. Cette manifestation a rassemblé 5 000 personnes.

vLaura Varlet : Que penses-tu de la Plateforme de Gauche de Syriza ? A-t-elle pris position par rapport aux négociations voulues par Tsipras et par rapport à l'attitude du gouvernement après le référendum ?

Manos Skoufoglou : La première chose à dire est que le gouvernement est assez autonome du parti. Par exemple, la direction de Syriza a pris connaissance du référendum à la télévision. Avant tout, cela veut dire que le parti ne peut pas contrôler le gouvernement. C'est-à-dire que même si la gauche de Syriza arrivait à diriger le parti, elle n'aurait pas la main ni le contrôle sur le gouvernement.

Mais de toute façon je ne pense pas qu'il soit possible que la Plateforme de Gauche arrive à la direction de Syriza, car la direction de la Plateforme de Gauche se trouve entre les mains d'anciens membres du Parti communiste qui ont intégré Syriza. Elle se trouve dirigée par Panagiotis Lafazanis qui est un ministre du gouvernement et qui s'est montré très enthousiaste récemment par rapport aux choix effectués par Tsipras, ce qui veut dire que la politique du référendum a réussi à contenir la direction de la Plateforme de Gauche, du moins pour le moment. Si les membres élus au Parlement avaient à voter pour des mesures d'austérité, peut-être que certains s'abstiendraient ou voteraient contre, mais je ne crois pas qu'il soit possible de changer Syriza de l'intérieur. Malgré le fait qu'on a travaillé avec la Plateforme de Gauche à plusieurs reprises, c'est toujours la discipline à l'égard de Syriza qui finit par primer. Il y a quelques semaines, par exemple, il y a eu une grève dans les hôpitaux. Il s'agissait de la première grande grève contre la politique du gouvernement. La Plateforme de Gauche s'est prononcée contre la grève.

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Laura Varlet : Pour finir, quel a été le rôle de la gauche anticapitaliste dans la campagne pour le Non ?

Manos Skoufoglou : La première chose à dire c'est que malgré les désaccords qui existent à l'intérieur d'Antarsya, et nous ne le cachons pas, je crois que nous avons réussi à jouer un rôle important dans la campagne pour le Non. Les militants d'Antarsya ont notamment organisé plusieurs manifestations et rassemblements sur les lieux de travail, devant les locaux des grands médias, et des directions syndicales du secteur privé, ainsi que du siège de l'UE à Athènes.

Nous avons également participé aux manifestations massives dans le centre d'Athènes, ainsi qu'à la manifestation plus radicale du jeudi 2 juillet à laquelle j'ai déjà fait allusion. Nous n'avions pas beaucoup de temps donc, et, mis à part des cas ponctuels, nous n'avons pas pu monter de comités de campagne pour le Non. Les anarchistes et les anarcho-syndicalistes ont également milité à nos côtés dans cette campagne, ce qui est nouveau, car d'habitude ils appellent au boycott. Nous nous sommes coordonnés dans l'action avec toutes les forces qui voulaient le faire, mais l'extrême gauche anticapitaliste et révolutionnaire a su le faire à travers ses propres slogans. Maintenant, nous essayons de préparer les prochains rendez-vous, car nous allons probablement devoir organiser une nouvelle manifestation cette semaine contre le " nouvel accord » ou du moins contre la tentative de la part de Tsipras de signer un nouvel accord. Notre slogan aujourd'hui est : " Non, jusqu'au bout ! ». Je pense que notre groupe a joué un rôle important en proposant des initiatives, dans la mesure de nos forces, et nous continuerons à le faire. ■

Propos recueillis le 6 juillet 2015 par Laura Varlet

* Manos Skoufoglou est membre de la direction de OKDE-Spartakos (section grecque de la IVe Internationale), une des organisations fondatrices d'Antarsya (Antikapitalistiki Aristeri Synergasia gia tin Anatropi, Ant.Ar.Sy.A ; Coopération anticapitaliste de gauche pour le bouleversement ; " antarsya » signifie aussi " rébellion »). Cette interview, qui présente l'analyse de l'OKDE-Spartakos, a été réalisée par Laura Varlet, militante du Courant communiste révolutionnaire du NPA (un des courants minoritaires au sein du Nouveau parti anticapitaliste, France), a été d'abord publié le 7 juillet 2015 sur le site d'information de cette tendance : http://www.revolutionpermanente.fr/