Une indépendance pour ceux d'en bas

par Esther Vivas
Des milliers de personnes sont sorties dans les rues le 11 septembre dans toute la Catalogne. On estime qu'une chaîne humaine d'un million et demi de personnes a traversé le pays du nord au sud, sur un tracé de 400 km, à travers les routes, les places, les ponts, les rues, pour crier haut et fort " Indépendance ! ». L'Assemblée nationale catalane (ANC), qui a organisé l'événement, préparait depuis des mois une action qui a débordé le cadre politique institutionnel. Les gens, comme on a pu le voir dans leurs déclarations, sur les photographies et les réseaux sociaux, ont eu le sentiment d'écrire une page de notre histoire collective.

Certains évoqueront le poids du gouvernement catalan, ou de tel ou tel parti, dans l'organisation de l'événement. Les liens des partis CiU (Convergence et Union, droite nationaliste) et ERC (Esquerra Republicana de Catalunya, parti indépendantiste de gauche modéré) avec l'ANC sont réels et souvent plus étroits qu'ils ne devraient. Mais cela n'enlève rien au fait que la grande majorité de ceux qui ont participé à " la Voie Catalane vers l'indépendance » l'ont fait parce qu'ils veulent décider de l'avenir de la Catalogne, parce que la voix du peuple catalan a été réduite au silence par la sentence du Tribunal constitutionnel et parce que beaucoup sont conscients que sans mobilisation sociale, rien ne sera obtenu.

Mais il n'y a pas que le cri " Indépendance » qu'on a pu entendre tout au long de la chaîne humaine. Des milliers de personnes ont encerclé des édifices emblématiques comme l'hôpital Josep-Trueta à Gérone, l'école Progrés et le lycée Llauna à Badalone ou encore le siège de la banque La Caixa à Barcelone afin d'exiger non seulement une " Catalogne libre » mais aussi une Catalogne libérée des corrompus, de l'austérité, de la répression et des dettes illégitimes. Indépendance, oui ! Mais indépendance de toutes les politiques qui nous oppriment et qui nous appauvrissent. Car l'indépendance n'est pas une formule magique qui va tout résoudre, comme beaucoup tentent de le faire croire. Elle peut être une coquille vide si elle n'implique pas une rupture avec les diktats du capital financier et le paiement de la dette.

Il ne s'agit pas de remplacer Mariano Rajoy, Premier ministre de l'État espagnol, par Artur Mas, président de la Generalitat catalane, ni la banque BBVA par La Caixa, ni l'affaire Gürtel par l'affaire des ITV, ni Amancio Ortega, la plus grande fortune espagnole, par Antoni Brufau, catalan, PDG de Repsol, ni la police nationale par les " Mossos de esquadra » (police catalane). Ne nous trompons pas. Nous n'aurons pas moins de coupes, ni moins d'expulsions de logement, ni moins de corruption, ni moins de précarité, ni moins de répression en langue catalane.

L'indépendance doit être une opportunité pour décider sur tout et pour mettre définitivement à la porte ceux qui nous ont volés plus que nous avions. Une opportunité pour arracher un véritable processus constituant à partir d'en bas, pour discuter quel modèle de pays et de société nous voulons. Un processus qui puisse être utilisé, en outre, comme levier à l'extérieur de la Catalogne afin de faire sombrer le régime issu de la Transition et ouvrir ainsi la voie à d'autres processus constituants dans le reste de l'État espagnol.

Le président Mas ne cesse se contredire quant au référendum ou aux élections plébiscitaires. Porter l'indépendance et le droit de décider jusqu'à leurs ultimes conséquences implique de désobéir aux lois et aux Constitutions injustes. Celles que combattent ceux qui occupent des logements vides, des banques, des écoles, des hôpitaux, des supermarchés et, aussi, ceux qui refusent de payer les péages. La légalité institutionnelle s'affronte à la légitimité de la rue et aux droits inaliénables des peuples. Légalité que les défenseurs de la " Loi et de l'Ordre » en Catalogne ne sont pas prêts à transgresser.

Selon moi, il y a trois éléments clés pour avancer vers une indépendance écrite par et pour ceux d'en bas.

► Premièrement, l'indépendance, le droit de décider et un référendum pour 2014 seront possibles seulement par la mobilisation sociale destinée à maintenir la pression sur les gouvernements catalan et espagnol. La manifestation d'hier fut, précisément, un pas dans cette direction. Des centaines de milliers de personnes se sont faites entendre en débordant, partiellement, la dynamique institutionnelle et de ses partis.

► Deuxièmement, un pays inclusif, pour tous, ne sera possible que si nous tenons compte de ceux qui sont réduits au silence, les opprimés, les invisibles, les " sans ». Il ne s'agit pas de construire la Catalogne des " gagnants » mais bien celle des perdants, celle de ceux qui souffrent des coupes et de la destruction des droits. La Catalogne des immigrés, des jeunes, des chômeurs, des sans toit, des femmes. La Catalogne de ceux qui parlent catalan mais aussi castillan, arabe, ourdou, etc. Le grand défi est de rassembler toute cette pluralité et toutes ces différences dans la Catalogne de demain, cette République catalane des 99 %, aussi souveraine qu'amie des peuples voisins.

► Et, troisièmement, que personne ne se fasse d'illusions, nous ne serons jamais libres tant que nous serons dans les mains de ceux qui vendent notre pays au plus offrant, que ce soit à des magnats des jeux, aux banques ou aux marchés étrangers. L'indépendance et la liberté ne seront possibles que débarrassées des jougs politiques et économiques. Et cela ne dépend que de nous. ■

* Esther Vivas est chercheuse au Centre d'études des mouvements sociaux de l'université Pompeu Fabra et dirigeante de la Gauche anticapitaliste (Izquierda anticapitaliste — Revolta global en Catalogne). Cet article a été publié par P·blico du 12 septembre 2013. (Traduit de l'espagnol pour Avanti4.be par Ataulfo Riera)

 

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