Contribution au VIe congrès du Parti communiste cubain qui doit se tenir en avril 2011

par Pedro Campos
Vallée de Vineres à Cuba. Photothèque Rouge/Sébastien Ville

Les directives pour la convocation du Congrès du PCC sont insuffisantes pour le socialisme. La discussion sur la signification du socialisme devrait être au centre du congrès.

Nous avons été appelés à nous prononcer librement sur les directives du VIe Congrès. Avec tout mon respect je présente donc ci-dessous mon point de vue. Je ne voulais pas être parmi les premiers, ni le faire avant que la discussion ne commence, afin de pouvoir d'abord analyser son contenu et connaître les résultats de la session de l'Assemblée nationale. En aucune manière je ne voulais influencer les opinions d'autres camarades au début de ce débat.

La discussion a commencé voici deux mois et une partie importante de la gauche internationale, comme de nombreux révolutionnaires, des communistes ou de simples citoyens cubains, ont manifesté leurs désaccords avec des aspects de la forme et du contenu de la convocation et des directives. Ils l'ont fait lors des réunions qui ont déjà eu lieu, dans la presse écrite et par des commentaires personnels.

Après les débats de ces dernières années et vu le temps de sa préparation, on pouvait espérer que la direction du parti convoquerait un Congrès avec un ordre du jour large, véritablement démocratique, sans sectarisme, qui soit capable de réaliser un examen profond, constructif des réalisations du passé et de tracer une ligne conduisant au socialisme, ainsi que d'élire de nouveaux cadres capables de faire face à ces nouvelles tâches. On attendait également une discussion sur le socialisme que nous voulons : elle était annoncée et devait dépasser les limites de l'expérience. Ce n'est pas l'orientation qui apparaît dans la convocation du Congrès par la direction. Il s'agit là de sa responsabilité historique.

L'organisation du VIe Congrès du PCC, la formulation d'un plan économique, le renforcement des autonomies municipales et l'ouverture à d'autres rapports de production extra-étatiques — en particulier le renforcement de l'activité à son propre compte et l'élargissement de la coopération à toutes les branches de l'économie, sont des demandes bénéficiant d'un vaste soutien populaire que beaucoup d'entre nous avaient sollicité depuis des années et qui, d'une certaine manière, sont partiellement formulées par la convocation du VIe Congrès, dans les directives et dans les interventions des hauts fonctionnaires qui ont suivi.

Nous ne doutons pas que cette convocation et ces directives parviennent à résoudre la grave situation des finances de l'État. Mais en mettant cela au centre on évite la discussion sur les problèmes fondamentaux du fonctionnement du parti lui-même, sur la relation entre la théorie révolutionnaire — sur laquelle son action est fondée — et sa pratique, ainsi que ceux liés à notre réalité concrète. De plus, en général, on peut les considérer comme insuffisants pour orienter notre société vers un socialisme véritable pour les raisons suivantes :

► 1. Après huit ans d'attente et après avoir été retardées pour permettre une meilleure préparation, la convocation et les directives n'incluent pas une analyse critique intégrale de ce qui s'est produit au cours des treize années qui se sont écoulées depuis le Congrès précédent et des résultats des politiques suivies, ce qui aurait évité les incongruités et les omissions et permettrait les rectifications adéquates ;

► 2. La méthodologie et le contenu choisis empêchent la discussion nécessaire, large et démocratique, sur le sens du socialisme et les voies qui y conduisent, répétant les erreurs fondamentales du passé ;

► 3. Il n'y a pas d'appel à la nécessaire rénovation des mandats, qui permettrait de promouvoir des cadres avec une mentalité nouvelle, capables de garantir les changements nécessaires ;

► 4. Les directives ne sont pas accompagnées de l'élection des délégués devant défendre les positions de leurs bases respectives ;

► 5. Elles n'évaluent pas les résultats de la politique extérieure et de sécurité nationale ;

► 6. Elles n'abordent pas toute la complexité de la situation internationale — politique, économique et sociale — actuelle, celle du système de notre pays et de son imbrication avec le monde contemporain ;

► 7. Elles n'incluent pas une analyse de l'activité propre et de la vie interne du parti, qui a besoin d'un renouvellement de ses méthodes pour pouvoir se rénover ;

► 8. Certains points des directives violent la lettre et l'esprit socialiste de la Constitution, en approuvant le travail salarié pour le compte privatif et la vente de la propriété à des étrangers pour 99 ans ;

► 9. Ils n'appellent à débattre que certaines directives économiques spécifiques, limitées et préfabriquées.

Même si le discours officiel parle d'un " processus démocratique » et d'une " consultation », le débat démocratique réel est perdu, car :

1. Sont soumis à la discussion certaines directives dont les axes centraux ont été déjà approuvés par le conseil des ministres, légiférés et mis en exécution en tant que partie d'un plan quinquennal dont le peuple et le parti n'ont pas connaissance.

2. L'échange horizontal, entre les bases, est absent.

3.Le contrôle sectaire exercé par la direction sur la presse du parti et sur la presse nationale empêche la divulgation d'autres apports et des idées distinctes des siennes.

4. La " participation » offerte aux travailleurs et à la base du parti se limite à consulter et amplifier, avec une méthodologie qui promeut le soutien avant tout débat et qui garantit l'approbation des directives à la quasi-unanimité — tellement critiquée officiellement — alors qu'il faudrait rassembler les avis pour que toutes les orientations soient considérées comme valables et discutables jusqu'au vote du Congrès en séance plénière.

5. C'est la preuve que l'intolérance traditionnelle envers les points de vue différents est maintenue, malgré le discours officiel qui prétend la supprimer.

6. La méthodologie fondée sur la prédominance historique des méthodes verticalistes des ordres et des exigences au sein du parti — accentuée depuis la " période spéciale » (3), continue a être appliquée.

7. Le processus de l'ignorance du débat, produit par le centralisme bureaucratique, continue à dominer. Nombre d'instructeurs et de cadres intermédiaires ont assumé l'approbation des directives — avant leur discussion — comme une tâche du parti.

D'autre part, les promoteurs des directives continuent à considérer le socialisme comme un système de distribution des biens de consommation du style néosocial-démocrate et non comme une forme nouvelle de l'organisation de la production, sans laisser un espace pour sa mise en question.

De manière dogmatique, sectaire et intransigeante, ils assurent qu'il n'y a pas d'alternative à celle qu'ils présentent, niant leurs propres échecs, les catastrophes produites par l'imitation du socialisme " réel » comme les expériences positives des autres orientations socialistes, de même qu'ils ne prennent pas en compte toute l'activité théorique socialiste du passé, ni celle de nombreux communistes et révolutionnaires cubains et internationaux réalisée depuis la chute de l'ex-camp socialiste, qui défend la philosophie marxiste du changement des rapports de production en tant que solution des contradictions provoquées par le système salarial d'exploitation, qu'il soit mis en pratique par les privés ou par l'État.

Avec toutes ces limitations et exclusions, un congrès ne permet pas d'aborder profondément la situation actuelle et les perspectives pour Cuba par le parti et par toute la société, ni la prise démocratique des décisions appropriées et, par conséquent, il ne garantit pas la réalisation des objectifs qui devraient être les siens dans les circonstances actuelles. Au lieu d'œuvrer à la cohésion des forces révolutionnaires, il les divise, alors que nous traversons une crise de crédibilité du socialisme qui produit la confusion et conduit tant de gens de toutes les couches sociales à aspirer à l'american way of life [mode de vie américain] et à douter des succès de la viabilité des projets étatiques.

Ainsi, l'essence de la politique économique déjà approuvée et mise en exécution, exposée dans les directives que le VIe Congrès doit valider, bien qu'elle implique d'importants changements concernant l'attitude traditionnelle paternaliste de l'État, ne garantit nullement une avancée du socialisme. Cela pour les raisons suivantes :

1. Les directives ne comportent pas une rectification de l'étatisme dans le sens de la socialisation, ni celle de la centralisation au profit de la démocratie qui mettrait dans les mains des travailleurs et du peuple le contrôle de la vie politique, sociale et économique.

2. Il y est établi que les décisions stratégiques importantes restent dans les mains de l'appareil bureaucratique de l'État-parti-gouvernement et les applications opérationnelles concrètes dans celles des administrations traditionnelles qui les imposent de manière bureaucratique.

3. Les leviers fondamentaux du pouvoir doivent rester entre les mains des groupes fortement influencés par les concepts traditionnels du centralisme bureaucratique archaïque mélangés avec des ingrédients typiques du néolibéralisme contemporain.

4. Les différentes fonctions du Parti, de l'État, du gouvernement et de l'économie ne sont pas claires.

Le principal objectif que le gouvernement met en avant c'est d'équilibrer son budget — ce qui est très à la mode dans les économies capitalistes pour garantir les coûts élevés de l'État et de sa bureaucratie. Cet objectif doit être atteint par le licenciement d'un million et demi de travailleurs du secteur étatique, par la réduction des dépenses sociales et des subventions, par l'augmentation des prix de détail du marché monopolisé par l'État, par le gel des salaires nominaux et la diminution du salaire réel, par le maintien de la dualité monétaire (4) (ce qui est un grave problème) et par l'emploi des travailleurs " disponibles » dans les secteurs productifs extra étatiques en cherchant à prélever des impôts suffisants pour couvrir les dépenses budgétaires.

Nous ne doutons pas que ces politiques pourront alléger d'une certaine manière les finances étatiques, réorienter certains travailleurs vers des secteurs étatiques déficitaires en main- d'œuvre ainsi qu'améliorer le niveau de vie de certaines couches déjà favorisées. Mais elles vont affecter la majorité de ceux dont les revenus sont bas, en particulier les plus pauvres et les moins protégés.

Avant tout cependant, il est question d'une augmentation significative de la production et de la productivité, ce qui sera difficile car il n'y a pas de stimulants positifs et concrets destinés aux travailleurs du secteur étatique, ceux-là même qui sont surtout chargés de faire produire les grandes entreprises et les usines. Ces stimulants se résument à la pression négative de la nécessité, de même que dans le capitalisme (le travail comme une nécessité, non comme une autoréalisation) et aux appels traditionnels — mais inefficaces — à la discipline et à l'exigence.

En outre, l'obtention d'une importante augmentation des impôts collectés, en vue de satisfaire les aspirations de l'État au prix de nouvelles formes de travail non étatiques, exigerait d'accorder un vaste espace au développement du capitalisme privé, du travail à son propre compte et du coopérativisme. Cela serait possible avec une autre politique fiscale, stimulant ces secteurs, différente de l'actuelle. Cela signifierait l'élimination des monopoles et des mécanismes centralisateurs qui empêchent le développement des activités économiques hors de l'État, alors qu'une bonne partie de la bureaucratie établie elle-même ne paraît pas disposée à les changer mais, au contraire, à les renforcer, malgré le discours officiel sur la décentralisation et sur la réduction de l'intervention de l'État dans la vie sociale et économique.

Les actions en vue de perfectionner les contrôles économiques centralisés de la bureaucratie, de dicter d'en haut toutes les activités économiques, de renforcer la police et les autres organes d'inspection et de répression chargés de maintenir les contrôles étatiques en sont la preuve. Comme le démontre aussi la volonté de percevoir les impôts de toutes les activités économiques non étatiques, si infimes qu'elles puissent être, ainsi que de maintenir et même d'augmenter les impôts très élevés des travailleurs qui sont à leur propre compte. De plus l'activité à son propre compte restera interdite pour beaucoup de professions (par exemple les architectes, les médecins, les dentistes, les infirmières et bien d'autres). Les travailleurs continueront à être accusés des mauvais résultats économiques, alors qu'il n'est nullement question d'étendre les mécanismes démocratiques indispensables ni la participation civique, tout comme de laisser hors du Congrès l'importante discussion sur les formes spécifiques de la participation des travailleurs et des citoyens à la vie économique du pays.

Par ailleurs, les mesures déjà annoncées et les directives tendent à faciliter surtout l'investissement étranger et le capital privé moyen, tandis que les initiatives de travail à son propre compte sont stimulées de manière insuffisante et que la généralisation des coopératives est à peine reconnue comme une possibilité sans que des mesures concrètes soit annoncées. Quant au contrôle ouvrier sur les entreprises étatiques — qui déterminent le mouvement et la plus grande part de l'activité économique — la cogestion entre les travailleurs et l'État, ou, si l'on veut, la reprise par les producteurs des entreprises abandonnées par l'État, pas un mot n'y est dit dans les lois déjà promulgués, ni dans les directives du parti, ni dans les discours officiels.

De cette manière les directives ne donnent pas la priorité requise à la socialisation de l'appropriation, mais au contraire, elles la mésestiment, alors que c'est la voie pour résoudre la contradiction fondamentale du système du travail salarié entre la concentration toujours plus importante de l'appropriation de la propriété et des surplus et la socialisation de la production.

Tant les voies proposés dans les directives pour atteindre les objectifs macro-économiques que la formulation de ces objectifs n'ont rien à voir avec le socialisme.

Les objectifs de tout plan économique d'un État qui se prétend socialiste devraient être de garantir le bien-être et le développement multiforme du peuple et des travailleurs, à travers l'accès de tous à la propriété ou à l'usufruit des moyens de production. En dehors de la répartition des terres — un processus peu transparent, sans aucun contrôle populaire — cela n'est pas mentionné. Il n'est pas non plus question de procéder à quelque changement que soit de la propriété des entreprises étatiques — déterminantes — dans le sens de leur socialisation, mais plutôt à leur partage avec les compagnies étrangères (privatisation).

Proposer d'équilibrer le budget de l'État en imposant ceux qui recourent au travail individuel et à l'exploitation du travail salarié est contreproductif de tout point de vue socialiste. De même, l'annonce de l'élimination d'un million et demi de postes de travail et de l'abandon de ces travailleurs sans aucune forme palpable ou définie de protection publique ni de garantie qu'ils puissent gagner leur subsistance par d'autres voies, n'a nullement un sens socialiste.

On ne peut expliquer cela que par la poursuite sous-jacente de la philosophie qui a prédéterminé les décisions traditionnelles. Sous le slogan de " l'actualisation du modèle », apparaît le vieux schéma étatiste qui a fait faillite, fondé sur le contrôle centralisé de la bureaucratie sur les moyens de production, les surplus, les investissements et les décidions importantes — qui devraient être tous entre les mains des collectifs ouvriers, sociaux et des individus. C'est la poursuite de la domination des relations salariales capitalistes non seulement dans l'État bureaucratisé, mais en les étendant à l'activité des paysans, de ceux qui travaillent à leur propre compte, que l'on stimule pour qu'ils se transforment en petits capitalistes.

Répétons-le : nous ne sommes pas opposés à l'existence d'une certaine dose, celle qui est nécessaire et bien contrôlée de petit capitalisme privé et même moyen, les dites petites et moyennes entreprises, ni qu'on recoure à des investissements étrangers et des entreprises mixtes qui apportent des capitaux et de la technologie, ni au marché, avant tout là où c'est nécessaire et de préférence de manière indirecte. Mais mettre ces formes de production au premier plan en vue d'atteindre " le développement socialiste du pays », alors que ce qui est recherché c'est de garantir les finances d'une bureaucratie étatique rentière, c'est un contresens qui ouvre lentement la voie des réformes pro capitalistes.

Il est certain que la " socialisme » paternaliste qui prétendait " résoudre » le problème du plein emploi en recourant au sous-emploi caché, au gonflement du personnel et aux subventions ne pouvait que nous conduire au désastre actuel. Mais prétendre résoudre ce phénomène par des recettes macro-économiques néolibérales et monétaristes, ne peut que plonger notre économie dans une privatisation accélérée, comme nous l'avons testé depuis la période spéciale, essentiellement au travers des entreprises mixtes qui se partagent avec l'État l'exploitation salariée de nos professionnels et de nos travailleurs et dont le poids spécifique dans l'économie n'est clarifié par aucun document officiel.

La solution socialiste en ce qui concerne l'emploi, c'est de permettre la pleine participation des travailleurs dans toutes les décisions de leur compétence, au sein des centres de production et des services, en particulier dans leur direction, leur gestion et en partie dans leurs bénéfices. Cela permettrait qu'ils décident s'ils continuent à être des travailleurs après avoir évalué s'ils peuvent être occupés à d'autres tâches de production. A condition de liquider en même temps tous les obstacles qui empêchent de travailler à son propre compte et de développer les coopératives.

Ceux qui ont échoué dans leurs tentatives centralisatrices, étatistes et volontaristes, qui sont désenchantés et indignes de Marx, réduisent le marxisme à quelques dogmes staliniens et ne croient pas ou ne veulent pas admettre qu'il peut y avoir une autre manière concrète de construire une société nouvelle. Ils aspirent à la " construire » avec " les armes du capitalisme qui ont fait leurs preuves ». Ils parcourent ainsi le chemin le plus direct vers la restauration du capitalisme, car la domination des moyens et des méthodes capitalistes ne peut donner d'autres résultats.

Ce qui caractérise un mode de production c'est la façon d'exploiter la force de travail. C'est ce que les directives et les discours officiels oublient en prétendant identifier le socialisme avec la planification centralisée des ressources, la propriété étatique et le " contrôle » du marché. De cette manière on poursuit les vieilles erreurs économiques, fondées sur le dogme qu'il faut concentrer et décider centralement des résultats du travail — les excédents —, maintenir les monopoles d'État sur la propriété, la vente et les prix des marchandises. Mais cela permet seulement d'empêcher toute initiative des collectifs de travailleurs, des collectifs sociaux et des individus. Tant que ces vices persistent, la décentralisation de l'économie ne sera que du domaine des discours.

Dans les économies modernes, les entreprises de production et de services travaillent sur la base de la division de leurs ressources en plus ou moins trois tiers : un tiers pour la reproduction élargie de leur entité propre, un tiers pour les bénéfices (qu'ils soient privés ou collectifs, selon qu'ils sont repartis de manière équitable ou non (ce qui permet de voir si l'entreprise est fondée sur les principes capitalistes ou socialistes) et le troisième tiers sous la forme des impôts versés à l'État, à la commune, etc. pour les frais sociaux. Seulement ce dernier tiers peut être employé par l'État pour sa planification — et il s'agit déjà de sommes fabuleuses.

Dans " L'histoire m'acquittera » (1) il est proclamé que 30 % des ressources des entreprises devraient être reparties entre les travailleurs.

La pratique du socialisme qui avait été tenté jusqu'à maintenant a démontré que la planification doit être démocratique, en accord avec les budgets participatifs approuvés à chaque niveau et dans chaque unité de production ou de service, et non à partir de la centralisation de toute la distribution du surproduit et de tous les investissements, un phénomène qui alimente la corruption et le bureaucratisme et qui ne permet ni de préserver ses fondements ni de réaliser ses buts.

Le marché, comme cela a déjà été dit, écrit et répété, a existé dans tous les systèmes sociaux. Ce n'est pas le propre du capitalisme, c'est un outil fondamental du développement économique qui existera tant que le système capitaliste sera dominant à l'échelle mondiale et, naturellement, avec la croissance relative des rapports de production socialistes, il va tendre vers un échange équivalent en direction de la justice sociale, jusqu'à ce qu'il ne disparaisse progressivement de même que l'État, les classes, la division sociale du travail, la loi de l'offre et de la demande, la monnaie et les autres catégories de l'économie marchande.

Les socialistes de différentes tendances sont d'accord pour dire que c'est seulement en mettant les moyens de production sous le contrôle direct des travailleurs, avec leur production commandée préalablement en fonction des besoins sociaux, qu'il sera possible d'avancer vers la nouvelle société socialiste. Lorsque les travailleurs eux-mêmes décideront dans chaque centre de production ou de services sur la direction de leurs entreprises, la gestion économique et le destin du surproduit, nous serons devant le changement réel des rapports de production. Tout autre choix, c'est la continuité, habillée de discours différents.

La simple propriété étatique — comme cela fut démontré —, si elle n'est pas socialisée, si elle n'inclut pas ces changements concrets dans les relations que les humains contractent dans le processus de production et si, au contraire, les rapports salariaux et la centralisation des décisions importantes se poursuivent, ne fait que renouveler inévitablement le cycle d'exploitation des travailleurs. La seule différence, c'est que cette exploitation est l'œuvre de l'État à la place des propriétaires privés, que les classes qui exploitent et qui sont exploitées ce sont, respectivement, les bureaucrates et les producteurs et que finalement le cycle se termine en régénérant le système capitaliste, comme cela a eu lieu au XXe siècle avec tout ce " socialisme d'État ». Cette leçon ne paraît pas avoir été apprise par la direction actuelle.

Avec ce qui est proposé, ils vont passer d'un État pauvre bureaucratisé, paternaliste et généreux, à un État tout aussi bureaucratisé, mais rentier et égoïste, qui sera encore pauvre, mais avec des prétentions d'opulence.

Contrairement à ce que certains voudraient attribuer à ceux qui défendent le chemin marxiste de l'extinction de l'État, nous ne défendons pas la disparition immédiate de l'appareil de l'État, qui est transitoirement nécessaire pour garantir les aspects généraux du développement du pays et sa défense. Mais la construction du socialisme, la socialisation, n'est pas possible si l'on concentre tout le pouvoir économique et politique dans quelques mains et si les décisions importantes sont prises par un petit groupe sectaire, sans une véritable discussion avec toutes les garanties démocratiques — la liberté d'expression, de publication, d'association, sans que tous aient d'égales possibilités de participation et de divulgation de leurs idées.

Chaque pays ira vers le socialisme conformément à ses caractéristiques, son niveau de développement et le degré de socialisation et de démocratisation déjà atteint, sans avoir à espérer que les autres indiqueront le chemin. Mais le triomphe du socialisme en tant que système social prédominant et stable dépendra du fait qu'il puisse prévaloir dans divers pays et que ces derniers soient capables de s'imbriquer économiquement et politiquement à partir de leurs propres points de départ. Une projection intégrale de l'Alliance bolivarienne pour les Amériques dans cette direction, au-delà des liens étatiques et sur des nouvelles relations de production socialistes, est plus que nécessaire. Elle est vitale.

A Cuba, nous nous trouvons acculés, nous sommes au point critique de la dissolution du capitalisme monopoliste dissimulé par le " socialisme d'État ». En conséquence :

► Soit nous avançons clairement le changement des rapports de production, en partant des rapports salariaux vers la prédominance de ceux des travailleurs librement associés du type coopératif et autogestionnaire — sans exclure les autres — et nous démocratisons la vie politique qui les rendra possibles…

► Soit nous régénérons le capitalisme privé, classique, pour la survie du centralisme bureaucratique salarié qui, en prétendant s'éterniser, sera rapidement absorbé et transmuté par le capitalisme et par les privatisations générées par lui-même.

Sans la plus large participation démocratique des travailleurs et du peuple dans toutes les décisions les concernant, il n'y a pas de socialisme possible. Ce que le gouvernement-État-parti a déjà fait et qu'il veut faire confirmer au cours du VIe Congrès ne garantit pas le développement du socialisme.

Le chemin qu'indique la convocation du VIe Congrès et ses directives économiques semble plus favoriser les rapports salariaux de production que ceux, socialistes, de la libre association, du type coopératif-autogestionnaire. Et qui n'avance pas, recule… dialectiquement.

L'éventuelle lente avancée de le restauration capitaliste — dans les mâchoires de l'empire le plus vorace et le plus atroce de l'histoire, ennemi traditionnel du peuple cubain, qui jusqu'aujourd'hui maintient fermement les principales lois du blocus — c'est l'aplatissement devant la dépendance de l'empire. Et, comme l'avait dit une fois la camarade Celia Hart (2), " Cuba est socialiste ou n'est pas ».

Socialisme pour la vie. ■

La Havane, le 6 janvier 2011

* Cet article de Pedro Campos est paru sur le site web Kaosenlared

notes
1. " La historia me absolverá » est le discours passionné de Fidel Castro lors de son procès après l'échec de l'attaque de la caserne de Moncada le 26 juillet 1953, dans lequel il défendait son action et explicitait ses thèses politiques.

2. Celia Hart (1963-2008), physicienne et essayiste cubaine, militante du PCC dont elle a été exclue en 2006, était " trotskiste pour son propre compte ». Inprecor a publié plusieurs de ses articles : " "Le socialisme dans un seul pays" et la révolution cubaine » (n° 500 de décembre 2004), " Welcome Trotsky » (n° 509 de septembre 2005) et " Réflexions sur le discours de Fidel Castro du 17 novembre 2005 à l'Université de la Havane » (n° 523-524 de décembre 2006-janvier 2007).

3. Avec la chute du mur de Berlin, la fin des subsides fournis par l'URSS provoque une grave grise économique. En novembre 1990 Castro instaure une " période spéciale » et le rationnement de tous les produits. (NDLR).

4. Il y a à Cuba deux secteurs économiques, l'un en devises ou en monnaie forte - le peso convertible CUC et l'autre avec le peso cubain CUP, utilisé par l'ensemble de la population. (NDLR)

traducteur
J.-M