Une autobiographie instructive

par

Gilles Martinet : "L'observateur engagé", éd. JC Lattès, Paris 2004, 17,00 €

Lire l'autobiographie d'un homme politique est toujours instructif, surtout si l'auteur essaye d'être lucide et de ne pas se raconter d'histoires. Celle de Gilles Martinet répond à cette exigence. Dans "L'observateur engagé", l'ancien directeur de France Observateur raconte son parcours politique et professionnel.

Ses débuts militants l'ont marqué pour la vie, ce qui ne l'empêchera pas de modifier progressivement son point de vue : membre du PC depuis 1933, il le quittera en 1938, après le procès de Moscou ayant condamné à mort Boukharine qu'il avait rencontré l'année précédente lors de son passage à Paris.

Se considérant "communiste dissident", il ne rejoindra pas les trotskistes trouvés trop sectaires mais deviendra "socialiste de gauche" (sans adhérer à la SFIO). C'est ainsi qu'il participera à la Résistance tout en cherchant une "troisième voie" qui ne soit ni social-démocrate ni stalinienne. Devenu journaliste depuis 1937 on lui confiera à la Libération la direction de l'AFP.

L'auteur détaille ensuite ses diverses pérégrinations politiques qui le mèneront de différents petits groupes plus ou moins gauchistes (notamment le Parti Socialiste Unifié — PSU — qu'il dirigera dès sa fondation en 1954) jusqu'au Parti Socialiste en 1972 (le Martinet d'avant la guerre ne l'aurait jamais cru...).

La première organisation qu'il rejoignit après son départ du PC fut en 1948 le Parti Socialiste Unitaire (un autre PSU...). Celui-ci venait d'être créé par une vieille tendance de gauche du PS, la Bataille Socialiste, qui venait de se faire exclure. L'auteur de ces lignes était à l'époque membre des Jeunesses Socialistes qui venaient, elles, de se faire dissoudre en raison de leur opposition publique à la politique colonialiste des ministres socialistes. Il eut le privilège d'assister en février 1948 à une réunion d'information de la Bataille Socialiste au Palais de la Mutualité. A ce moment se discutait une éventuelle fusion des JS avec la Bataille Socialiste ou avec le PCI (IVe Internationale). Martinet est intervenu et n'y est pas allé par quatre chemins. J'ai retrouvé mes notes prises à ce moment : " Les trotskistes ressacent des vieilleries qui pouvaient se défendre jadis mais qui n'ont plus aucun sens aujourd'hui. Nous ne serions pas fidèles à Lénine si nous ne vérifiions pas les théories à la lumière des faits actuels. Les divergences que nous avons avec le PCI sont le pendant de celles qui existent entre le socialisme dans un seul pays et la révolution permanente ».

Voilà qui était bien dit et qui correspondait à l'état d'esprit de ce PSU qui s'inclinait de plus en plus devant les exigences du PCF. Cela amena quand même Martinet à le quitter un an plus tard.

Il n'est pas possible de relater les nombreux épisodes qui façonnent la vie passionnante qu'a connue Gilles Martinet et qu'il relate avec brio. Indiscutablement en tant que directeur de France Observateur et principal dirigeant du PSU, pendant une dizaine d'années il contribuera à éveiller et stimuler une "vraie Gauche" sur le Vietnam, l'Algérie, le stalinisme, les révoltes ouvrières de l'Est, etc. Cependant son "réformisme révolutionnaire" ayant pour objectif de "rénover la gauche ancienne" abandonnera de plus en plus son adjectif. En décembre 1971 il quittera un PSU trop gauchiste, qu'il n'était pas parvenu à convaincre de la nécessité de rejoindre l'Union de le Gauche. Il adhérera aussitôt au PS qui, après le congrès d'Epinay de 1971 avait "viré à gauche"...) et il sera élu à son Bureau National puis, dix ans plus tard, désigné ambassadeur de France en Italie. Le récit de cette période est évidemment beaucoup moins palpitant. Très honnêtement il rappelle le " temps où nous rêvions de changer la vie » et avoue s'être demandé s'il n'était pas en train de devenir " un marrane socialiste approuvant le pragmatisme qui, depuis 1983, caractérisait l'action de la gauche au pouvoir, mais ne voulant pas renoncer pour autant au projet que l'on disait "mis entre parenthèses" ». Rappelons que les marranes étaient les juifs espagnols ou portugais qui, à la fin du XVe siècle, furent convertis de force au catholicisme et continuèrent à pratiquer en secret leur religion.

Espérons que, grâce au dynamisme de la jeune génération et au renforcement de la lutte altermondialiste, les "marranes socialistes" seront enfin amenés à perdre tout espoir quant au "redressement" de leur parti. Il est vrai que cela fait près de 70 ans que certains l'attendent ....

 

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