Victoire populaire historique

par

Margarita Aguinaga, militante féministe, est membre du Comité international de la IVe Internationale et de Refundaci¾n Socialista (Refondation socialiste), sa section équatorienne.

En remportant la présidence de la République, Rafael Correa (1) a exprimé la victoire de ceux et de celles d'en bas. Au cours des deux derniers mois précédent son élection, on a assisté à une fusion entre la conscience sociale et la conscience politique de gauche, à une identification de la lutte contre l'oligarchie et de celle contre le néolibéralisme. Son adversaire, ┴lvaro Noboa, soutenu par les forces les plus conservatrices du pays, incarnait d'ailleurs parfaitement l'oligarchie néolibérale. Notons que parmi ceux qui se sont engagés comme jamais dans le camp de Noboa, on a vu tomber les masques des sociaux chrétiens (2), des roldosistes (3) et de ce qui restait des partisans d'une prétendue démocratie populaire (4).

Après la chute du président Lucio Gutiérrez en 2005 (5) et à la lumière de celle-ci, face à la crise de la représentation politique dans l'État, deux solutions permettant de sortir de la crise de légitimité du néolibéralisme étaient dans l'air. Celle d'un bloc fort de la droite dure, n'hésitant pas à affronter le peuple pour rétablir le modèle néolibéral. Et celle d'une sortie par la gauche, en renversant le modèle néolibéral dans ses choix fondamentaux. C'est cette dernière orientation qui s'est maintenant imposée, en construisant un nouveau rapport de forces en faveur du prolétariat et des opprimé(e)s de l'Équateur, ouvrant une nouvelle étape historique.

La droite n'a pas réussi à profiter de la chute de Lucio Gutiérrez pour réimposer ses choix néolibéraux, comme elle l'avait fait avec Jamil Mahuad en imposant la dollarisation en 2000, tirant profit de l'échec de Abdalá Bucaram en 1997 (6). Au contraire, au travers des luttes contre le Traité de libre commerce imposé par les États-Unis, on a vu s'affirmer la convergence entre les organisations indigènes et populaires, avec un contenu démocratique qui a conduit à l'alliance de la gauche en faveur de Rafael Correa. Le cours de l'histoire est en train de s'ouvrir en faveur du peuple, ce qui non seulement est un motif de réjouissances, mais doit aussi permettre de promouvoir le processus anticapitaliste avec un nouveau élan.

L'impérialisme et la droite ont subi une lourde défaite. Sous le choc, ils n'ont pas encore trouvé comment ils pourront engager la contre-offensive. Mais les expériences du Venezuela, de Cuba et de la Bolivie sont là pour nous mettre en garde : la bourgeoisie ne laissera pas faire, elle cherchera à se réapproprier le gouvernement par tous les moyens, tant politiques que militaires, elle tentera d'user le gouvernement de gauche et de retourner la population contre lui. Car malgré toutes ses faiblesses et tous ses erreurs, Rafael Correa a remporté l'élection grâce à un discours et à des propositions fort radicales.

Transition ?

Il doit faire face à un Parlement dominé par le populisme de droite.

Déjà ce dernier, par le biais du Parti de la Société patriotique du 21 janvier (PSP) (7), annonce qu'il va soutenir l'Assemblée constituante. Il tente de faire oublier de cette manière, qu'avec les sociaux chrétiens d'abord, puis avec le PRIAN (8) et le PRE, il a été sur le point de livrer la souveraineté du pays aux États-Unis en signant le Traité du libre commerce. Cela témoigne aussi de la crainte qu'il a de perdre sa base sociale, car les pauvres qui ont choisi de soutenir le PSP au premier tour ont été radicalisés dans la lutte pour le second tour et ont trouvé la manière de s'identifier avec des positions de la gauche.

C'est pourquoi il faut maintenir l'alliance directe entre le peuple et la gauche et la renforcer. Cela permettra non seulement de soutenir le nouveau gouvernement, mais encore de pousser à la concrétisation des propositions de campagne faites par Rafael Correa, en avançant vers une autre situation de la lutte, non seulement en Équateur, mais aussi dans toute l'Amérique latine et dans le monde entier.

Si Rafael Correa a obtenu un résultat important dès le premier tour, c'est dans la préparation du second tour que s'est réalisée une articulation de la conscience de la gauche dans les secteurs urbains et ruraux du pays. C'est une nouvelle rencontre des forces sociales et politiques de la gauche, entre tous les acteurs qui depuis plus de deux décennies ont ouvertement lutté contre la mondialisation néolibérale.

Nous devons faire face aujourd'hui à de nombreux défis :

* Il faut consolider un gouvernement pour réaliser les propositions les plus importantes, comme le refus du Traité du libre commerce, la mise en place de l'Assemblée constituante, l'amélioration des conditions de vie, de l'emploi, de la santé, de l'éducation et du logement de ceux qui sont les plus pauvres dans le pays ;

* Il faut en même temps renforcer l'unité de la gauche qui passera par l'épreuve de sa capacité à conduire l'Assemblée constituante de manière à faire reculer les fondements du modèle néolibéral, c'est-à-dire les privatisations et la dette extérieure ;

* Il faut radicaliser les réformes particulières en renforçant les luttes pour le respect, dees droits humains et collectifs, dont bénéficieront les populations indigènes, les femmes, les jeunes etc., dans la perspective de la construction d'une société nouvelle ;

* Il faut affirmer un processus d'unité et d'alliances avec le Venezuela, le Brésil, Cuba, la Bolivie et les autres peuples qui résistent en Amérique latine, en Europe, en Afrique et en Asie ;

* Il faut promouvoir les nouveaux processus d'auto-organisation et renforcer les propositions des assemblées populaires et des collectifs de lutte qui permettent d'ouvrir un vaste débat sur la voie que nous voulons que notre pays emprunte ;

* Ce doit aussi être un moment de réaffirmation idéologique des révolutionnaires et il serait désastreux de ne pas l'utiliser.

Le moment est en effet venu de nous regrouper et d'avancer, de repenser la nouvelle gauche. L'activation politique des organisations politiques et sociales ne sera pas possible si la réflexion ne nous sert pas de guide, parce que pour construire le socialisme il faut puiser dans les expériences historiques, utiliser, en les réactualisant, le marxisme, le féminisme et les autres théories révolutionnaires, qui nous aideront à reconstruire notre utopie révolutionnaire sur la base de nos luttes populaires historiques.

Nous sommes devant les temps nouveaux, ceux d'un plus grand respect, de la dignité et de la créativité. Certains disent que nous sommes au début d'un processus révolutionnaire. Dans ce sens tout doit être fait pour renforcer autant que possible le premier gouvernement de gauche qui ait vu le jour dans l'histoire de l'Équateur - bien que certains disent que le premier fut celui de Jaime Roldós En tout cas c'est la première présidence qui se réclame de la gauche en promulguant le socialisme du XXIe siècle ! Cela représente un grand pas en avant pour un peuple petit par son territoire, mais grand par ses luttes historiques combatives et rejoignant les peuples de Cuba, du Venezuela et de la Bolivie.

Le temps est venu de récolter les premiers fruits des luttes courageuses du mouvement indigène, des femmes, des travailleurs, des jeunes, des penseurs et penseuses critiques qui ont permis d'ouvrir une autre voie dans l'histoire et de trouver une autre issue aux crises et aux défaites que nous avions aussi vécues et qui nous guettent encore. C'est pourquoi la construction du pouvoir populaire et du socialisme doit être notre premier objectif à l'ordre du jour.

Quito, le 29 novembre 2006

1. Rafael Correa Delgado, économiste, humaniste et chrétien de gauche, opposé à la dollarisation et à la signature du Traité du libre commerce (TLC) avec les États-Unis, a été élu à la présidence de la République le 26 novembre 2006, obtenant 56,8 % des suffrages, contre le magnat de la banane et l'homme le plus riche de l'Équateur, ┴lvaro Noboa Pontón. Au premier tour de l'élection, le 15 octobre, R. Correa était le candidat de l'alliance de gauche PAIS (Patria Altiva i Soberana - Patrie fière et souveraine) et était arrivé en deuxième position avec 22,84 % des suffrages. Au second tour, il avait obtenu le soutien de toutes les formations se réclamant de la gauche et des organisations indigènes regroupées dans la CONAIE. Depuis son investiture officielle, le 15 janvier 2007, il a annoncé la tenue d'un référendum le 18 mars 2007 dans le but d'autoriser la convocation d'une assemblée nationale constituante, pour rénover les institutions du pays totalement contrôlées par des partis politiques très corrompus. Il a par ailleurs annoncé sa volonté de renégocier la dette équatorienne qui s'élève à 10 milliards d'euros, ainsi que les contrats de la société énergétique PetroEcuador avec les partenaires étrangers. En tant que président, il a annoncé la réduction de moitié du salaire présidentiel ainsi que la diminution des salaires des hauts fonctionnaires de l'État. Il ne dispose pas de majorité au Parlement.

2. Parti social chrétien (Partido Social Cristiano, PSC), parti de droite implanté dans la région côtière. Il dispose de 13 des 100 sièges au Parlement.

3. Parti roldosiste équatorien (Partido Roldosista Ecuatoriano, PRE), parti populiste de droite fondé par Abdalá Bucaram, dont ┴lvaro Noboa Pontón a été candidat présidentiel en 1998. Il a six sièges au Parlement.

4. Démocratie populaire - Union démocrate chrétienne (Democracia Popular-Unión Demócrata Cristiana, DP-UDC) avait porté au pouvoir le président Jamil Mahuad, qui a remplacé la monnaie nationale, le sucre, par le dollar états-unien en 1999, ce qui provoqué des mois de grèves et de manifestations et finalement la déposition de Mahuad par l'armée le 21 janvier 2000. DP-UDC dispose de cinq sièges au Parlement.

5. Le colonel Lucio Gutiérrez a été membre de la junte militaire qui a déposé le président Jamil Mahuad en janvier 2001. Candidat du Parti de la Société patriotique du 21 janvier (Partido Sociedad Patriótica 21 de Enero, PSP), populiste de droite, il a remporté l'élection présidentielle, le 22 novembre 2002, en partie grâce aux voix des partis indigénistes et paysans (Pachacutik). Il a ensuite mené une politique économique néolibérale alignée sur les recommandations du Fonds monétaire international et a fini par évincer du gouvernement les ministres issus des secteurs les plus à gauche en août 2004. En avril 2005, après une semaine de manifestations massives contre sa politique et la corruption, manifestations qu'il a qualifiées de " révolte des hors-la-loi ", il a été destitué par le parlement et s'est enfui à l'ambassade du Brésil. Il a été remplacé par son vice-président, Alfredo Palacio.

6. Abdalá Bucaram a été élu président sur un programme populiste en juillet 1996. Il a sombré dans la corruption et a été déclaré mentalement inapte et destitué par le Congrès le 6 février 1997, à la suite des grèves et des manifestations.

7. Parti de la Société patriotique du 21 janvier (Partido Sociedad Patriótica 21 de Enero, PSP), nationaliste et populiste, a obtenu 23 sièges au Congrès. Son candidat à la présidence, Gilmar Gutiérrez (frère de Lucio Gutiérrez) est arrivé en troisième position avec 17 % des suffrages le 15 octobre 2006.

8. Parti rénovateur institutionnel d'action nationale (Partido Renovador Institucional de Acción Nacional, PRIAN) est un parti de la droite oligarchique fondé par ┴lvaro Noboa Pontón, lorsque ce dernier s'est séparé du PRE. Le PRIAN a présenté Noboa à la présidence en 2002 et 2006. Il dispose actuellement de 28 sièges au Congrès.

traducteur
J.M.