Les sept premiers mois du retour du PRI

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Mexico DF, le 20 juillet 2013

Le retour aux affaires du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), qui a pratiquement dominé la politique mexicaine durant le XXe siècle, a eu pour conséquence de confronter le nouveau gouvernement d'Enrique Pe±a Nieto à des élections au terme de seulement 7 mois de pouvoir, le 7 juillet 2013. Bien que ce ne soit pas des élections intermédiaires de renouvellement de la Chambre des députés, leur importance vient du fait que ce sont les premières élections pendant le mandat de six ans de retour aux affaires du PRI et que, au-delà de l'élection dans 14 États du pays de 1.300 maires et députés locaux, ainsi que d'un gouverneur clé (celui de Basse-Californie), les résultats des différents scrutins permettent d'apprécier comment se profile et se définit la situation de la nation sous le gouvernement d'Enrique Pe±a Nieto.

Ces résultats ont été dans l'ensemble favorables au PRI, qui a remporté la majorité des sièges à pourvoir. Le cas le plus controversé, à savoir celui de læélection du gouverneur de Basse-Californie, à l'issue de laquelle le candidat du PAN (Parti d'action nationale) également soutenu par le PRD (Parti révolutionnaire démocratique) est sorti vainqueur avec une faible avance, a été interprété comme une " concertacesión » (1) établie dans le but de maintenir le Pacte pour le Mexique comme pièce fondamentale de la politique de Pe±a. Le PRI a perdu certaines capitales d'États mais, dans le décompte final, ses associés du Pacte du Mexique ont perdu des dizaines de municipalités au profit de la majorité soutenant le PRI, et à elles deux ces organisations gouvernent aujourd'hui des territoires concernant moins de populations qu'avant les élections. Dans le trio qui constitue le Pacte, le perdant est indubitablement son flanc " gauche ». Le PRD a perdu dans des territoires municipaux habités par plus d'un million de Mexicains. Comme on peut le comprendre, dès le début, nous sommes en présence d'un cas particulier " d'élections », à savoir que les principaux partis qui s'affrontent sont en même temps associés dans un Pacte fédéral de gouvernement.

Transition et sécheresse démocratique

Avant même la situation politique particulière représentée par le retour du PRI, la principale question qui se pose est de savoir ce qui se joue réellement dans les élections mexicaines après le retour au pouvoir du PRI. Quels types de gouvernement et d'opposition s'affrontent dans de tels scrutins ? Et les questions ne s'arrêtent pas là. Quel est le caractère de cette restauration ? S'agit-il d'imposer une édition rénovée du vieux bonapartisme mexicain ? Quelle a été la profondeur de la " transition démocratique » de l'an 2000, qui a été la base des deux mandats de six ans de Fox et Calderón ? Le système des partis de la " transition » s'est-il consolidé ou est-il en crise ?

Le régime bonapartiste mexicain, avec son système présidentiel et son parti unique de fait, le PRI, a été l'acteur hégémonique de la politique mexicaine pendant quatre-vingts ans, si nous prenons en considération le fait que le fondateur en 1929 du Parti national révolutionnaire (PNR), l'ancêtre du PRI, était le président Plutarco Elías Calles, dirigeant du groupe du Sonora, triomphateur de la Révolution mexicaine qui en 1920 mena à bien le coup d'État contre Venustiano Carranza, et dont les successeurs ont conservé le pouvoir, dominant ainsi la politique nationale jusqu'en l'an 2000. Au cours du XXe siècle, aucun pays d'Amérique latine n'a connu, même de loin, une stabilité politique comparable à celle instaurée au Mexique par le régime bonapartiste.

Les fondements sociaux et économiques d'une stabilité aussi inouïe dans un sous-continent dont les caractéristiques majeures sont, entre autres, les coups d'État, les dictatures militaires, les gouvernements populistes éphémères, ont été le produit des conséquences de la Révolution mexicaine, une révolution contre la dictature du Porfiriat (2), partie essentiellement d'une insurrection paysanne radicale, particulièrement dans le nord et le centre du pays et le soulèvement spontané et tumultueux d'une classe ouvrière subordonnée dès le début aux dirigeants politiques et militaires triomphants de la Révolution. Le pays qui commença à se construire dès lors sous le pouvoir hégémonique des couches néobourgeoises et petites-bourgeoises de la " révolution devenue gouvernement », appuyées par les masses paysannes et ouvrières incorporées et contrôlées par des organisations paraétatiques du régime bonapartiste dominateur, fut la nation capitaliste la plus solide d'Amérique latine pendant une bonne partie du XXe siècle.

Le régime du PRI n'était pas un régime démocratique et quand les contradictions sociales commencèrent à apparaître plus vigoureusement dans le dernier tiers du XXe siècle, à partir de 1968, la couche bourgeoise dominante, toujours associée plus intimement à l'impérialisme étatsunien décida d'entreprendre une réforme " démocratique, électorale et parlementaire » de son régime politique, pour orienter vers des canaux contrôlables le mécontentement populaire de plus en plus important. Cette orientation a été la plus grande réussite de la " transition démocratique » de l'an 2000, mais les douze années tragiques des deux mandats présidentiels du PAN ont montré à leur tour la faiblesse et donc l'insuffisance des avancées obtenues.

Les élections du 7 juillet indiquent les carences de l'opération de l'an 2000 en matière de démocratie réelle. Si, avec les gouvernements du PAN, il a été démontré que le système traditionnel continuait à s'imposer avec son inertie de décennies de corruption, répression, violence, lutte contre la démocratie et autres plaies caractéristiques, nous pouvons entrevoir que la restauration du PRI entérine la ratification de la sécheresse démocratique de la société bourgeoise mexicaine. Cent ans après la Révolution, le peuple mexicain reste privé d'une véritable démocratie sociale et politique.

Un pacte contre le peuple

Le succès du PRI à l'issue de l'élection présidentielle de l'an dernier, pour écrasant qu'il fut, n'a pas été le raz-de-marée que beaucoup, et pas seulement les partisans du PRI, espéraient. Ne réunissant pas au Congrès de l'Union la majorité qualifiée nécessaire à la réalisation de réformes constitutionnelles, la restauration ne pouvait se faire sans prendre en compte les changements de régime que la " transition » favorisait avec le gaspillage de milliards de pesos avec l'IFE (Institut électoral fédéral) comme pierre angulaire de la distribution des sommes énormes dépensées pour mettre sur pied la " transition démocratique ». Il fallait avant tout prendre en considération les autres partis majoritaires et éviter la confrontation qui depuis le " salinisme » avait tendu la vie parlementaire, rendant difficile, voire impossible, la réalisation de la troisième phase de contre-réformes exigées par les multinationales et les agences financières impérialistes (Banque mondiale, banques de Wall Street, Union européenne, etc.).

La période d'exercice du pouvoir par le PAN fut, avant tout, très amère. Bien que disposant des rênes du pouvoir gouvernemental, le PAN fut incapable, avec Fox et Calderón, de mettre en œuvre les deux réformes principales en préparation depuis longtemps, la réforme fiscale et, plus fondamentale, la réforme énergétique, qui sont pour les capitalistes nationaux et étrangers des réformes décisives pour sortir l'économie mexicaine de son marasme.

Cette situation a été l'élément déterminant qui a fait que la première action d'Enrique Pe±a Nieto (EPN), immédiatement après le 1er décembre 2012, a été la signature du Pacte pour le Mexique par les deux présidents du PAN et du PRI, permettant de ressusciter les vieilles recettes stratégiques de " l'unité nationale », si chères aux gouvernements du PRI de la période classique des années 1930 et 1940 comme aux partis communistes staliniens. Mais plus d'un demi-siècle plus tard, le pacte entre les trois partis actuellement les plus importants apparaît comme une caricature des vieilles stratégies de front populaire des luttes antifascistes, en réalité une simple grille dépassée par les urgences héritées de l'incompétence des gouvernements précédents et qui a constitué le ferment d'un mécontentement massif, potentiellement inflammable.

Précisément, quelques semaines avant de remettre le pouvoir à Pe±a Nieto, le président Calderón a tracé la ligne stratégique gouvernementale au-dessus des partis, en particulier le PRI et le PAN, avec la promulgation d'une nouvelle loi fédérale du travail, loi léonine qui légalise l'attaque féroce contre les conquêtes des travailleurs mises en pratique depuis des années.

La décision d'inscrire le soutien à l'axe de la politique de Pe±a dans le Pacte pour le Mexique enregistre des résultats très contradictoires, bien que sans aucun doute favorables jusqu'à présent au gouvernement de restauration du pouvoir du PRI. Les résultats sont apparus rapidement dans la loi sur les télécommunications, qui est passée sans problèmes. Ce ne fut certainement pas avec l'assentiment total de Televisa, mais elle n'en perdit pas pour autant le rêve d'une télévision bipolaire, car, bien que la porte s'ouvre pour qu'un concurrent étatsunien apparaisse, sa domination se maintient fermement sur l'audience nationale en interdisant la création de radios indépendantes.

La première preuve importante fut la contre-réforme éducative. Les enseignants de la CNTE (Confédération nationale des travailleurs de l'éducation), et particulièrement ceux de Guerro, mais également ceux de Michoacán, Oaxaca, Chiapas et à moindre échelle ceux du district fédéral (Mexico) et des États du nord, ont impulsé des mobilisations de rue massives qui, si elles n'ont pas réussi à repousser totalement l'offensivegouvernementale, ont impulsé la création de forums visant à modifier quelque peu les propositions du secrétaire à l'éducation Chuayffet.

Mais les élections du 7 juillet ont révélé avec force les contradictions qui s'insinuent dans un Pacte dont le président du PAN Gustavo Madero a lui-même déclaré qu'il est " remis en jeu chaque jour ». Pour Pe±a le dilemme était le suivant : à la suite des premières élections de son mandat, la force du PRI devait certainement être ratifiée de manière écrasante mais dans le même temps il ne lui convenait pas que ses partenaires du Pacte pour le Mexique soient encerclés par le rouleau compresseur du PRI. Ce dilemme s'est le mieux exprimé à l'occasion de l'élection du gouverneur de Basse-Californie en juillet, État qui offrait une situation clé pour définir le destin du parti partenaire le plus important d'Enrique Pe±a Nieto. Une déroute du PAN dans cet État, le premier qu'il ait conquis en 1989 et où il était depuis resté au pouvoir, pourrait être le coup de grâce à un parti profondément divisé depuis la troisième grande déroute qui lui avait été infligée à l'occasion des présidentielles de 2012. Ainsi tout indiquait l'évidence de l'importance du Pacte pour les intérêts de Pe±a. La victoire du PAN, encore plus dans une union avec le PRD, représente une déroute du PRI — c'est le prix payé par Pe±a pour maintenir le Pacte debout. En d'autres termes, le PRI perd pour que le président se renforce. Au final une situation qui montre les limites à l'intérieur desquelles peut agir le gouvernement du PRI qui en aucun cas n'est celui d'avant l'an 2000.

Au lieu d'un parti omnipotent, s'est imposé un système composé de " trois partis différents : la droite (PAN), le centre (PRI) et la gauche (PRD) » et une seule autorité présidentielle véritable. La façade " démocratique » sert maintenant de couverture au rétablissement de l'autorité d'un président qui met en application les plans des groupes économiques dominants nationaux et étrangers, qui réclament cette mise en œuvre depuis plus de dix ans.

Le " système électoral » de l'IFE est l'espace dans lequel ces partis se disputent la répartition de parcelles de pouvoir (et par-dessus tout, des indemnités électorales qui se chiffrent en millions) à travers l'obtention des suffrages. Ce qui a suivi les campagnes électorales a été évident, les trois partis se sont unis dans le Pacte pour le Mexique convoqué par " le président de tous les Mexicains ». Plus que jamais les élections sont transformées en une mascarade entre regroupements qui en réalité ne présentent de différences ni de stratégie ni de principes fondamentaux. Le fort taux d'abstention lors des scrutins précédents, frôlant dans certains endroits les 70 %, exprime la désaffection chaque fois croissante des grandes masses envers les partis qui ne les représentent pas et qui ne leur apportent rien.

Une situation socio-économique assombrie

Un des traits de la situation rien moins que brillante que traverse la société et son économie, peut nous donner un panorama plus précis du scénario dans lequel se sont développés les événements politiques antérieurs.

L'économie des États-Unis qui a connu un timide redressement en 2012 ne donne pas signe d'un renforcement suffisant pour entrer dans une véritable période de relance. Au contraire, les mesures draconiennes de rigueur budgétaire du gouvernement Obama (cette année les mesures fiscales d'ajustement budgétaire représente 25 % du PIB des États-Unis) annoncent une nouvelle chute de croissance. La directrice du FMI, Christine Lagarde, considère que l'économie mondiale peut entrer dans une phase difficile en cette année 2013. Concrètement, selon la propre estimation du FMI, le taux de croissance prévu à 3,5 % en début d'année ne dépassera pas 3,2 %. L'économie montre des signes évidents de ralentissement de la croissance en Allemagne, en France, en Inde et même en Chine, dont le taux de croissance semble devoir passer de 8 % à 7,75 %. La zone euro, qui subit son sixième trimestre consécutif de récession, reste la principale source de préoccupation mondiale. Cette récession menace maintenant l'Allemagne dont l'économie avait réussi à se prémunir contre cette tendance qui est le facteur économique dominant de la zone euro.

C'est dans ce contexte économique mondial que le Mexique se retrouve plongé dans une stagnation installée depuis dix ans déjà et dont les conséquences, conjuguées au déclin économique de la période de récession apparue dans les année 1980, expliquent les résultats particulièrement mauvais d'une économie qui ne satisfait pas les énormes besoins de la population.

Aujourd'hui, selon le Conseil national de la population, le Mexique compte quelque 118,4 millions d'habitants, soit six millions de plus que lors du recensement de 2010. Les données montrent un pays jeune qui a réussi à abaisser son taux de fécondité : de sept enfants par femme dans les années 1960 le taux est passé à seulement 2,2 actuellement. 65 % de la population est en âge de travailler, soit entre 15 et 65 ans. Mais le terrible fléau du chômage frappe brutalement les jeunes. Si le taux de chômage calculé par l'Institut national de la statistique et de la géographie (Inegi) atteint presque 5 % de la population active (taux maximal en 2012), ce chiffre masque des réalités atroces telles que celles que doivent affronter les sept millions de jeunes entre 18 et 30 ans qui ne travaillent ni n'étudient, et le fait que plus de la moitié de la population active (PEA) — 28,5 millions d'individus — travaillent dans le secteur de l'économie informelle. Les États dans lesquels le taux de chômage est supérieur à la moyenne nationale sont Tamaulipas (6,8 %), District fédéral (6,79 %), Tabasco (6,63 %), Tlaxcala (5,96 %), Chihuahua (5,77 %) et Nuevo León (5,7 %).

Pour couronner cette situation économique particulièrement sombre, il faut de plus intégrer le taux d'inflation élevé, malgré la politique draconienne du nouveau gouvernement, qui au cours des quatre premiers mois de cette année a retiré de la circulation 54 millions de pesos (la plus importante restriction monétaire de trois décennies) et a réduit brutalement les dépenses publiques.

La relance de l'économie nécessite une élévation à 5 % ou 6 % de la croissance annuelle, bien au-delà des médiocres 2 % ou au mieux 3 % de ces dernières années. De nombreux analystes économiques signalent un accroissement préoccupant de l'extrême pauvreté, qui affecte plus d'un tiers de la population. Pour autant, l'accumulation de capital poursuit son cours. Le magazine " Expansión » dans son numéro spécial annuel du mois de juin sur la situation des " 500 entreprises les plus importantes du Mexique » indique que les sociétés qui dynamisent l'économie " stagnent au niveau effectifs et il n'est pas évident qu'elles feront appel à ces ressources ». En dehors d'un accroissement considérable des investissements mexicains à l'étranger (et à l'inverse une relative diminution des investissements étrangers au Mexique), les capitalistes attendent les réformes énergétiques et fiscales pour continuer à faire du profit non seulement via les gains habituels mais également avec les profits extraordinaires. Mise à part la politique de spoliation que constituent les privatisations, politique principalement fondée sur le grand détournement de la richesse pétrolière via la privatisation ouverte de Pemex et sur l'attaque tous azimuts contre l'ensemble des conquêtes des travailleurs, ils n'ont aujourd'hui aucune stratégie véritablement en mesure de sortir le pays du marasme socio-économique. Une semaine exactement après les élections, Carstens, le président de la Banque du Mexique, a pour la première fois fait des déclarations préoccupantes sur le comportement de l'économie. À cette occasion, il ne parla pas des " petits rhumes » qu'il avait l'habitude d'annoncer, mais d'une situation plus sérieuse qui apparaît à l'horizon de l'économie mondiale.

Sous la tutelle de la bourgeoisie et de son partenaire principal — l'impérialisme étatsunien — l'horizon du Mexique est barré par le chômage, la corruption, l'accroissement de la misère, la violence, la répression… En résumé, par la décomposition et la décadence sociale et politique.

Ainsi donc la relative stabilité actuelle n'est pas le fruit d'un quelconque relèvement socio-économique soutenu mais bien plus la conséquence de la nouveauté que représente le retour du PRI au pouvoir, et particulièrement des attentes suscitées par le nouveau président, grâce au fait que de larges secteurs de la population lui accordent une marge de confiance avant de décider de lui tourner le dos. Mais la situation qui se dessine à l'horizon est une situation de vents violents, ensemencés par les contradictions explosives qui apparaîtront rapidement sur la scène politique.

Violence et corruption systémiques

La convergence de cette situation économique totalement défavorable et de la décomposition aggravée de l'encadrement des institutions dans un processus dans lequel les deux tendances s'alimentent mutuellement, a été exploitée par les dirigeants des gouvernements du PAN, à commencer par Fox et Calderón. Caractérisés par le mépris du peuple, la cupidité et l'incompétence, elle a conduit à une orgie de violence qui a ensanglanté le pays avec des dizaines de milliers de morts, une situation uniquement comparable à celles qui ont dominé les luttes révolutionnaires cent ans en arrière. Chômage, corruption, misère, répression, fermeture de la frontière nord à des millions d'émigrants, tous ces facteurs constituent le cocktail explosif qui s'est élaboré principalement pendant le mandat de six ans de Calderón. Avec Pe±a, une politique de contrôle des médias, encore plus rigide que sous les gouvernements du PAN, donne l'apparence d'une diminution de la violence des bandes criminelles et des conflits sociaux en général. Mais certains signes montrent que la violence perdure. Une violence dont on ne voit pas comment et par quels moyens elle pourrait disparaître tant que se maintient le régime social et politique actuel.

En raison des élections de juillet le problème de l'accroissement de la pénétration de l'argent de la drogue et en général de l'implantation de la délinquance organisée dans les institutions gouvernementales, s'est invité dans l'IFE lui-même. Un analyste a calculé que 80 % des municipalités sont contrôlées par le trafic de drogue. Les cas de Michoacán et Sinaloa en sont une illustration spectaculaire, mais l'influence des narcotrafiquants se propage et s'étend dans les États de Chihuahua, Sonora, Nuevo León, Tamaulipas, Veracruz, Jalisco et commence même à s'infiltrer dans le District fédéral.

La corruption élevée à des niveaux impressionnants alimente les luttes entre bureaucraties dans les groupes politiques officiels et étend ses ramifications bien au-delà. Les chiffres ahurissants de la dette publique contractée par les gouvernants super corrompus de tous les partis de l'IFE sont éloquents jusqu'à l'écœurement. Le Michoacán, un des États les plus affectés par la violence des cartels, est également le champion de l'endettement gouvernemental. Dans cet État, qui a été gouverné par le PRD et le PRI, la dette publique est passée de 159 millions de pesos en 2002, à plus de 40 milliards en 2012, un accroissement de 25 000 % L'affaire Granier (3), l'ancien gouverneur PRI de l'État de Tabasco, constitue un autre scandale qui a secoué le pays, comme cela avait été précédemment le cas pour les frères Moreira (4) en Coahuila. Mais des affaires plus ou moins semblables touchent le personnel politique dans les États de Veracruz, Oaxaca, Guerrero, Tamaulipas, Jalisco et la liste pourrait contenir la majorité des États. Même dans le joyau de couronne du PRD, il commence à transpirer que l'ancien chef du gouvernement du District fédéral, Marcelo Ebrard, pourrait être impliqué dans des comptes pas très clairs portant sur des milliards de pesos investis dans la construction de la nouvelle ligne du métro Tláhuac-Mixcoac, le chantier public le plus coûteux de la précédente mandature.

L'idéologie brute du PRD et du mouvement de Manuel Lopez Obrador

Le Pacte pour le Mexique, sans que cela puisse être considéré comme un de ses objectifs, a été un facteur énorme de clarification et de prise de conscience de larges secteurs du monde des travailleurs comme des exploités et opprimés, qui pendant plus de vingt-cinq années ont fait aveuglément confiance au PRD en le considérant comme une véritable organisation de gauche représentative de leurs intérêts politiques. La décision de la direction du PRD de s'allier ouvertement au PRI et au PAN dans le Pacte pour le Mexique, montre sans équivoque son caractère conciliant et collaborationniste avec les pires ennemis du peuple mexicain. Le message fort des enseignants en colère contre le soutien honteux par les députés du PRD des initiatives éducatives du gouverneur de Guerrero, quand il attaquèrent à coups de pierres le local de ce parti à Chilpancigo, sera sans aucun doute considéré comme un jalon historique important dans le processus de prise de conscience de larges secteurs radicalisés quant au caractère conciliant et traître du PRD.

Ses alliances électorales complètement aberrantes avec le PAN, le représentant le plus fidèle des secteurs de la bourgeoisie de droite dans plusieurs États et en particulier en Basse-Californie, sont plus qu'éloquentes. Il s'agit d'un parti électoraliste le plus crûment bourgeois qui a représenté et qui continue de représenter un frein au processus d'émancipation et de libération populaires.

Sous le gouvernement de Calderón, le PRD a cependant plusieurs fois feint une opposition à l'occasion de la loi contre-révolutionnaire sur le travail adoptée en 2012. Son rôle à l'intérieur du Pacte pour le Mexique l'a converti en partenaire dans l'élaboration des mesures les plus contre-révolutionnaires que prépare le gouvernement de Pe±a Nieto pour privatiser Pemex et pour imposer la TVA à une population accablée par l'augmentation du coût de la vie.

De leur côté, Andrés Manuel López Obrador (AMLO) et le Morena, Mouvement de régénération nationale, se retrouvent dans une situation délicate. AMLO, contrairement au PRD, est incontestablement resté indépendant du courant du PRI et ses critiques ont visé le Pacte. Cependant, la posture passive qu'il a adoptée après les élections a approfondi les positions clairement modérées vis-à-vis des luttes des travailleurs et des jeunes, alors qu'en regard de cette position il se montrait très favorables aux entreprises qui l'ont soutenu pendant sa campagne présidentielle.

De plus López Obrador n'a pas fait le moindre bilan critique de sa stratégie néfaste d'alliance avec les Chucos, les dirigeants du PRD qui ont été les bénéficiaires directs des 16 millions de suffrages qu'il a obtenus en 2012, suffrages au profit de ceux qui se sont présentés pour négocier et se mettre au service des politiques contre-révolutionnaires de Pe±a Nieto et de son Pacte. Un dirigeant politique national incapable de tirer les leçons de faits aussi graves et aussi énormes alors que ce même dirigeant avait joué un rôle central pour le développement d'événements tels que ceux qui se présentèrent tant en 2006 qu'en 2012, n'est clairement pas un leader révolutionnaire qui subordonne son action et sa pensée aux intérêts du peuple pour contribuer à la prise de conscience de ceux qui le suivent.

À peine un peu plus d'un an après que la coalition des Progressistes, avec AMLO à sa tête, a réussi à recueillir plus de 16 millions de suffrages, cette formation électorale est un fantôme sans direction, et ses composantes avancent en ordre dispersé. Le PRD s'est intégré à la droite bourgeoise la plus réactionnaire, le Parti du Travail (PT) allié au PRI dans l'élection clé de Basse-Californie et AMLO et son Morena qui se contentent de faire l'autruche, sans dire que ce discours est le leur.

L'étincelle qui met le feu aux poudres

La situation qui domine dans l'ensemble du mouvement des travailleurs et dans les secteurs populaires opprimés n'est pas la plus favorable à l'action révolutionnaire de masse. Elle limite l'intervention et la participation des marxistes révolutionnaires aux tâches d'organisation et de poursuite du travail de propagande la plus large possible, en maintenant, quand ils existent bien sûr, les liens, les contacts et l'intervention dans les organisations et les secteurs de masse, les syndicats, associations, fronts, mouvements de solidarité, etc.

Mais la tâche principale d'une organisation comme la Ligue de l'unité socialiste (LUS) est de préparer ses cadres et de défendre sans compromis une sortie révolutionnaire de la terrible crise que traversent les travailleurs et dans leur ensemble les secteurs populaires opprimés. Ceci signifie qu'en termes de propagande et quand l'occasion s'y prête devant des auditoires massifs, nous devons, au niveau de l'agitation, face à l'État capitaliste, à son gouvernement, ses partis et encore plus face aux groupes patronaux bourgeois, être les champions de l'indépendance des travailleurs, promoteurs intransigeants de l'auto-émancipation des travailleurs et de leur organisation démocratique.

Du point de vue de l'action d'un groupe de propagande marxiste révolutionnaire, le but doit être de réaliser le regroupement du plus grand nombre possible des nombreux groupes socialistes authentiquement révolutionnaires du Mexique. L'expérience de l'agitation du Front de la gauche socialiste (FIS) en faveur du vote nul l'an dernier, doit être considérée comme un exemple de réalisation de ce type de regroupement de révolutionnaires, qu'ils soient trotskistes ou non.

Des mouvements existent dans les secteurs populaires, qui annoncent des luttes plus importantes et plus profondes, mais tous ces mouvements sont minoritaires. La CNTE est sans aucun doute le courant syndical indépendant le plus important (bien qu'il faille accoler l'adverbe " relativement » à " indépendant » en raison des liens étroit qu'entretiennent nombre de ses dirigeants avec le PRD et Morena, et pour quelques-uns avec le PRI) , mais il est une minorité au sein du SNTE (Syndicat national des travailleurs de l'éducation). La dispersion des efforts par manque de coordination organisationnelle et politique, constitue la limite fondamentale qui détermine l'extrême faiblesse politique de tant d'éclosions de luttes et de mécontentement. La consigne " plus une seule lutte isolée, luttons tous unis » reste encore pour le moment un désir loin de devenir une réalité.

Le mécontentement grossit, la poudre est chaque fois plus volatile et prête à s'enflammer pour un motif quelconque, mais la centralisation politique de la bourgeoisie et la subordination traditionnelle des masses populaires à l'idéologie et à la politique bourgeoises reste encore un obstacle que les luttes populaires ne parviennent pas à surmonter.

Pour dispersées qu'elles sont, les étincelles n'en sont pas moins nombreuses qui pourraient allumer l'incendie. L'apparition des polices communautaires au Guerrero et son extension au Michoacán et à l'Oaxaca, entre autres, est une évolution formidable qui pèse sur la politique de ces entités. Au Sonora se déroule une lutte qui est le signe précurseur du combat pour la défense de l'environnement avec l'opposition qui s'est levée contre le projet démentiel du gouverneur du PAN de détourner les eaux du fleuve Yaqui sur des centaines de kilomètres pour satisfaire les besoins de la ville de Hermosillo. L'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) n'a pas dit son dernier mot et bien que refermée dans sa coquille elle se prépare aux périodes tempétueuses qu'annoncent les politiques des gouvernants du Chiapas et de Los Pinos. Des multitudes d'initiatives naissent dans les syndicats, les associations de défense des droits humains, les groupes féministes et LGBT. Les jeunes sont inquiets, et l'évolution et la disparition pratique du mouvement #yosoy132 constituent la preuve vivante de l'absence d'un projet politique unificateur avec des objectifs démocratiques et révolutionnaires clairs absolument nécessaires pour organiser la résistance, croître et s'imposer comme alternative révolutionnaire unificatrice des innombrables manifestations de mécontentement, de protestation et combativité qui existent.

Pour une Assemblée constituante

Pour nous l'intervention et la participation de LUS dans le milieu étudiant, syndical et en général des organisations populaires, doit se baser sur notre lutte sans concession pour un nouveau gouvernement des travailleurs et de la population exploitée et opprimée. Ce gouvernement ne surgira pas spontanément, il faut préparer son arrivée. De toute évidence, cette préparation ne peut pas passer par les institutions actuelles du Congrès de l'Union.

Nous sommes encore dans une étape initiale de préparation de cette mobilisation nécessaire à l'établissement du pouvoir des travailleurs et du peuple opprimé. La lutte devra nécessairement passer par un réveil de ces masses. Aujourd'hui, à de très rares exceptions, les syndicats sont prostrés mais pour l'appel, la préparation et la réalisation de la première grève générale au Mexique, il sera nécessaire d'opérer un patient travail de fourmi au sein des syndicats réellement existants. Les syndicats réels, pas les franchises des syndicats patronaux qui pullulent au sein de la Confédération des travailleurs mexicains (CTM).

Au final, la lutte pour l'indépendance, la démocratie et le pouvoir du peuple sur ses ennemis de tout type, devra se cristalliser dans la convocation d'une Assemblée constituante qui doit être la matrice du nouveau gouvernement avec la participation de tous. C'est la consigne centrale pour préparer le gouvernement des travailleurs, des paysans, des indigènes et de tout le peuple pauvre et opprimé. Les intérêts des travailleurs (en tant que producteurs) et des masses opprimées (en tant que consommatrices) seront la base des débats dans des réunions qui pour séparées qu'elles seront se réuniront ensuite dans l'Assemblée constituante pour tracer le cours du Mexique nouveau, socialiste, féministe, protecteur de l'environnement et internationaliste.

Le fait que divers syndicats, en commençant par celui des téléphones (SNT), commencent à organiser des rencontres pour discuter précisément de la question de l'Assemblée constituante, montre avec clarté que notre proposition s'insère dans la réalité de la lutte des classes.

Aujourd'hui, dans le monde entier, les mobilisations des masses contre la stratégie du choc de l'Union européenne, des peuples arabes du Moyen-Orient, des masses en Turquie et au Brésil, indiquent clairement le chemin que suivront d'autres peuples en accord avec leurs spécificités nationales. Deux exemples particuliers sont observés avec attention par de nombreux secteurs au Mexique pour en tirer des leçons. La mobilisation des masses brésiliennes contre un gouvernement du Parti des iravailleurs (PT) issu de syndicats, qui, sous la direction de Lula et maintenant de Dilma Roussef, a fini par se plier aux directives de la Banque mondiale et du FMI. Et avant tout les actions du peuple égyptien qui a entamé une révolution qui se tisse de manière complexe avec la contre-révolution de l'armée égyptienne, l'âme véritable du pays. Dans les deux cas, l'étincelle qui a mis le feu aux poudres s'est produite de la manière la moins prévue. Telle est la complexité des révolutions, de la révolution anglaise du XVIIe siècle à la révolution bolchévique de 1917, en passant par la révolution française et la révolution mexicaine.

En se mobilisant, les peuples apprennent rapidement et sûrement. L'idée de l'Assemblée constituante prend le chemin du mouvement populaire vers son auto-identification en tant que masse exploitée et opprimée C'est une forme de promotion de la défiance et finalement de rupture des travailleurs et des secteurs populaires envers la politique de leurs oppresseurs. Les révolutions commencent toujours en créant la surprise et quand elles réussissent, le travail de préparation et d'organisation des marxistes révolutionnaires se reproduit d'une manière inouïe. Le pouvoir de l'énergie des masses en mouvement fait de l'organisation révolutionnaire dirigeante une force invincible pour orienter une telle énergie vers les sentiers du programme de transition qui conduit à l'instauration d'un gouvernement des ouvriers, des paysans et des indigènes. ■

* Manuel Aguilar Mora est membre de la direction de la Liga de Unidad Socialista (LUS), une organisation dont les militants sont membres de la IVe Internationale. Cet article a d'abord été publié par Boletâ n solidario de información Correspondencia de Prensa (Redacción y suscripciones : germain5@chasque.net). Cet article représente la position de la LUS. (Traduit de l'espagnol par Antoine Dequidt).

notes
1. La " concertacesi¾n » est une démarche politique qui consiste à reconnaître la victoire de l'opposition sous réserve que celle-ci reconnaisse le mandat précédemment conquis par les perdants ; cette formulation remonte à l'époque du mandat de Carlos Salinas de Gortari, président impopulaire du Mexique de 1988 à 1994, élu sous l'étiquette du PRI et qui dût reconnaître la victoire du PAN lors des élections législatives tenues pendant son mandat.

2. Le Porfiriat désigne la présidence du Général Porfitarion Diaz, qui conserva le pouvoir de 1876 à 1911 et dont le régime, à côté d'une expansion économique certaine du pays, fut marqué par une politique dictatoriale de suppression de libertés publique, de répression et de censure.

3. Selon " Libération » du 7 juillet 2013, " l'ex-gouverneur de l'État de Tabasco Andrés Granier se vantait de posséder 400 paires de chaussures, 300 costumes et 1 000 chemises et de jongler entre les garde-robes de ses différentes résidences secondaires. Dans un enregistrement qui a fait un tabac sur Internet, on l'entend déclarer à des proches : "J'ai laissé des vêtements à Miami, j'ai laissé des vêtements à Canc·n, j'ai laissé des vêtements ici, et il me reste au bas mot 500 chemises !" Accusé en juillet 2013 de détournement de fonds publics, il porte aujourd'hui un seul habit, l'uniforme de la prison. »

4. Humberto et Ruben Moreira ont gouverné successivement l'État de Coahuila durant dix ans. Humberto, accusé d'enrichissement illicite et de responsabilités dans l'endettement illégal de cet État, qui a augmenté de manière exponentielle durant sa gestion, a dû céder la direction du PRI.