Après les élections régionales de mars 2010 <sup>1</sup>

par Sandra Demarcq
1( février 2010. Olivier Besancenot, tête de liste en Ile-de-France pour les régionales, et Fabienne Lauret, tête de liste dans le département des Yvelines, distribuent des tracts à la porte des usines Renault de Flins.

Dans une situation d'approfondissement de la crise, les principaux enseignements des élections régionales des 14 et 22 mars 2010 sont les suivants : une abstention massive, une véritable défaite électorale du gouvernement, le retour du Front National et des scores décevants pour le NPA.

Rejet sans appel de Sarkozy

La principale donnée de ces élections c'est l'ampleur du rejet de Sarkozy et de sa politique, qui s'exprime par des moyens divers. C'est une défaite majeure pour le parti au pouvoir. La droite a obtenu autour de 26 % des suffrages exprimés au premier tour et 35,5 % (soit seulement 15 % des inscrits) au second tour, elle est derrière le Parti socialiste dans quasiment toutes les régions. Les huit ministres en lice ont été défaits, autant, si ce n'est plus, que les autres candidats UMP. C'est bien l'ensemble de la politique du pouvoir qui a été désavouée, une politique au service des grands actionnaires et des classes les plus riches, une politique qui fait payer la facture à la majorité de la population, une politique qui détruit les services publics et les acquis sociaux. Parmi les votes sanctions des gouvernements en place, ces élections font donc partie des grands crus. Il n'est pas nouveau que les élections locales marquent une correction par rapport aux résultats précédents. Cela s'était produit par exemple contre la gauche en 1983. Mais, généralement, il s'agissait de correction et rarement d'un tel phénomène.

L'abstention massive représente l'autre fait majeur de cette élection. 53 % au premier et 49 % au second tour, tout électorat confondu, mais près de 70 % des jeunes, les 2/3 des classes populaires et une participation qui culmine à 30 % dans de nombreux quartiers populaires. Cette abstention marque un désaveu des partis institutionnels mais aussi un éloignement d'une partie de la population du champ électoral : l'exclusion sociale produit de l'exclusion politique.

Le Front national (FN) se relance. Bien que son score et son maintien au second tour soient en retrait par rapport à 2004, le FN surmonte sa crise. Il bénéficie à plein de la crise du sarkozysme et du débat nauséabond lancé en pleine campagne par Sarkozy sur l'identité nationale qui a permis de développer des discours plus racistes les uns que les autres. Mais le FN capte aussi un vote protestataire, y compris dans les milieux populaires.

Nette victoire du PS et de ses alliés

C'est l'ampleur du rejet de la droite qui a nourri la victoire nette du PS et de ses alliés et leur a permis de ne pas être sanctionnés sur leur bilan de gestion libérale des régions depuis 2004. Au second tour, l'ensemble des listes de gauche ont amélioré leur score du premier. Des résultats que l'on n'avait pas vus depuis le début des années 1980. Les listes d'union de la gauche et le PS en particulier récoltent les fruits du " tout sauf Sarkozy », mais il semble que ces listes soient apparues, pour une partie de l'électorat, comme crédibles et capables de s'opposer à la droite. Pour autant, on ne peut affirmer que ce succès électoral signifie une approbation de la politique menée par le PS et ses alliés. En effet, les résultats du PS, lorsqu'on se retrouve en présence de triangulaires, sont moindres. Dans le Limousin, par exemple (où le NPA a obtenu deux élus sur une liste NPA-Front de Gauche), le score réalisé par cette liste révèle qu'en présence d'un troisième choix à gauche, indépendant des socialistes, à côté du traditionnel tête à tête PS-UMP, il y a une amélioration par rapport au premier tour : de 13,13  % le 14 mars, la liste passe à 19,1  % (gagnant ainsi 20 000 voix). On constate la même situation en Bretagne, où la liste Europe Écologie s'était maintenue là encore face au PS.

Le PS rafle la mise parce qu'il apparaît comme seul en capacité de remplacer la droite comme centre de gravité du pouvoir. Europe Écologie qui réussit moins bien qu'en juin 2009 mais obtient autour de 12 % des voix, s'installe comme la seconde force à gauche au plan électoral. Les raisons de ce succès sont multiples. Les aspirations écologistes fortes dans la population, expliquent ce résultat même si le programme des Verts et de leurs alliés n'incarne en rien un parti " anti-système ». Europe Écologie capte en même temps la défiance vis-à-vis du PS, même si les principaux responsables de ce courant politique sont largement mouillés dans le jeu institutionnel, en alliance avec le PS.

Les résultats du Front de gauche (FG) apparaissent plutôt bons dans le contexte. Le Front de gauche enregistre une moyenne de 6,95 % (contre 6,45 % aux européennes) avec des résultats très contrastés et des pointes dans les bastions traditionnels PCF. La pérennisation du FG et le maintien de ses scores signifient l'installation dans le paysage politique d'une gauche réformiste antilibérale différente du social-libéralisme même si elle en reste dépendante. Elle va continuer à disputer au NPA l'espace de la radicalité. En choisissant l'alliance avec le Parti de gauche, le PCF, lors de ces deux élections, a enrayé son déclin électoral continu entamé dans les années 1980 sans pouvoir toute fois inverser la courbe et rencontrer une dynamique nette. Le nombre d'élus PCF est divisé par deux par rapport à 2004.

Nous avons pu vérifier dans l'entre-deux tours les désaccords fondamentaux que nous avons avec les directions des partis qui composent le Front de gauche. Des fusions programmatiques ont été réalisées avec le PS dans quasiment toutes les régions. Le PCF a décidé de participer aux exécutifs dominés par le PS. La direction du Front de gauche, avec des contradictions, montre ainsi sa volonté d'aboutir à une nouvelle mouture d'union de la gauche dans la perspective de 2012.

Des résultats décevants pour le NPA

Disons-le clairement, les résultats obtenus par le NPA à ces élections régionales ne sont pas bons. La moyenne sur l'ensemble des 21 régions où nous étions présents s'établit à 3,4 %. C'est donc un net affaiblissement. Dans aucune de ces dix-huit régions, nous ne franchissons la barre des 5 %, même si avec 4,99 % il s'en faut de quelques dizaines de voix en Basse-Normandie. Dans les trois régions où nous faisions liste commune avec le Front de gauche, les résultats sont un peu meilleurs. C'est surtout vrai dans le Limousin. En revanche, en Pays-de-Loire, pour quelques dizaines de voix là encore, la liste n'atteint pas les 5 %, bien loin des scores cumulés des élections européennes.

L'abstention, qui s'élève à 53,6 %, a une nouvelle fois particulièrement touché les quartiers populaires avec des chiffres de participation n'excédant pas les 30 % dans de nombreuses villes, parfois moins.

De façon plus fondamentale, nous avons subi, de manière accentuée par rapport aux européennes la prise de distance d'une grande partie des électeurs les plus proches de nos idées par rapport aux processus électoraux, un phénomène que nous subissons beaucoup plus que les autres partis. Cela renvoie forcément à un seuil intermédiaire où, à la différence du PS, d'Europe écologie ou même du Front de gauche à l'échelle régionale, le vote pour le NPA n'apparaît pas crédible pour sanctionner la droite, et ce indépendamment de la sympathie pour nos idées.

Cela pose un problème difficile : celui de construire un parti politique qui ne veuille pas se donner comme socle la gestion des institutions et l'organisation autour de ses élus, mais l'action politique directe à partir des mobilisations sociales, de l'organisation des jeunes, des travailleurs et des milieux populaires dans les entreprises et les quartiers. Dès lors l'utilité de notre présence dans les institutions ne peut devenir crédible que comme le prolongement de cette action ce qui suppose à une échelle large une réelle implantation et reconnaissance, ce que le NPA a dans certains endroits, mais pas à l'échelle nationale. Cela suppose aussi une meilleure capacité à donner une cohérence d'alternative politique aux exigences sociales que nous mettons en avant : notamment au-delà des revendications sur l'emploi, les salaires et la protection sociale, être capable d'apparaître comme porteur d'une alternative pour l'organisation de la société au profit des travailleurs. Aussi, nous pouvons capter un électorat à certaines élections, notamment autour de la figure d'Olivier Besancenot ou lorsque notre vote apparaît crédible pour faire passer un message politique, mais nous n'avons pas encore l'assise permettant une fidélisation électorale large.

Mais globalement c'est l'ensemble des scores à la gauche du PS qui sont décevants, l'extrême gauche en général étant particulièrement touchée. La faiblesse de la mobilisation sociale en automne 2009 a bien sûr pesé lourd. Fondamentalement, face à la brutalité de la crise, face à la violence de la politique du gouvernement Sarkozy, nous n'avons pas démontré qu'il était utile de voter pour nous.

La crise est devant nous

Ces élections régionales ouvrent une crise politique. Le gouvernement, Sarkozy en tête, perd toute légitimité. À peine les résultats tombés, la droite se divise, désormais consciente que la réélection de Sarkozy n'est plus acquise. Celui-ci n'a pas d'autre alternative que d'unifier son propre camp en opérant un tournant plus à droite encore avec comme contre-réforme centrale, pour les mois qui viennent, celle des retraites. La réussite de cette contre-réforme, qui consiste principalement, aux yeux de Sarkozy semble-t-il à faire reculer l'âge du départ à la retraite de 60 ans à 62 ou 63 ans, vise à prouver à son propre camp que lui seul est capable de " moderniser » le pays.

Face à lui, on voit poindre de nouveau un projet d'alternance à gauche, emmené par le PS. Chacune des trois forces concernées est en quelque sorte sortie de la crise qu'elle traversait depuis 2007. Le PS est temporairement réunifié autour de Martine Aubry. Les Verts ont produit avec Europe écologie une solution à l'impasse de leur mouvement. Et Jean-Luc Mélenchon a permis au PCF d'enrayer son déclin, en lui donnant un regain de vitalité. Si une nouvelle mouture d'union de la gauche est déjà dans les tuyaux, les contradictions sont encore fortes dans chacun des trois pôles, avec des projets différents et des rivalités internes importantes.

Le tournant actuel de la crise s'incarne dans la situation grecque et dans un scénario qui se reproduit en Espagne ou au Portugal et n'épargnera, à des degrés divers, aucun pays d'Europe. La dette publique contractée en renflouant les banques et les financiers est l'objet de nouvelles spéculations, et la facture est présentée par les États à la majorité de la population (gel des salaires, réduction des pensions et des protections sociales, suppressions des emplois publics). La crise économique et écologique qui s'accélère produit des résistances fortes mais insuffisantes pour enrayer à ce stade l'offensive capitaliste dans les pays où les attaques ont franchi un degré supplémentaire.

Un profond mécontentement s'exprime dans toute la société et s'est exprimé lors des dernières semaines de l'élection, même si les luttes n'ont pu bousculer le jeu électoral ni surmonter le blocage organisé par le pouvoir et les directions des grandes centrales syndicales.

Il est impossible de prédire comment vont se dénouer ces contradictions. La conjonction d'une situation économique extrêmement dégradée et d'éléments de crises politiques met le pouvoir en situation difficile. Mais cette conjoncture particulière ne pourra être exploitée que si une gauche de combat, la plus nombreuse et rassemblée possible, est capable à la fois de relever le défi des résistances sociales, des mobilisations unitaires à construire et de mettre en avant une alternative anticapitaliste.

Si, après un an d'existence, le NPA traverse un échec électoral, ces dernières semaines n'invalident pas pour autant notre projet initial. Plus que jamais, construire et développer un parti anticapitaliste de masse, un parti pour amplifier les mobilisations, un parti pour " la transformation révolutionnaire de la société » reste en période de crise globale du système — économique, sociale, écologique — non seulement une nécessité mais bel et bien une possibilité d'actualité. ■

* Sandra Demarcq, membre du Comité exécutif du Nouveau parti anticapitaliste (NPA, France), a été élue au 16e congrès mondial au Comité international de la IVe Internationale.

1. Cet article a paru initialement dans International Viewpoint Online Magazine n° 424 - May 2010 : www.internationalviewpoint.org/spip.php?article1863