Cadrage budgétaire : un dogme néolibéral et le «tombeau» des revendications populaires

par Israel Dutra

La politique d’austérité du gouvernement Lula doit être inversée pour permettre des investissements sociaux urgents.

Au soir du 30 juillet, une édition extraordinaire du Journal officiel publiait un décret signé par Lula qui gelait 15 milliards de Real (environ 3 milliards d’euros) du budget fédéral. Si l’on ajoute cette soi-disant « contention des dépenses » à la réduction précédemment annoncée directement par Haddad, le coût de la politique du « déficit zéro » se traduit par des dizaines de milliards de reals en moins pour les investissements sociaux.

Cela aura des conséquences directes non seulement sur les services sociaux, mais aussi sur le débat politique des prochaines élections, lorsque les candidats devront s’exprimer sur leur programme en tenant compte des questions budgétaires et de l’argent disponible.

Les députés PSOL Sâmia Bomfim, Fernanda Melchionna et Glauber Braga ont rapidement présenté un projet de loi suspendant le gel, relançant le combat pour l’abrogation du nouveau cadrage budgétaire et la lutte pour une politique économique différente. Ce débat doit être repris par les dirigeants politiques et les militants tant lors de la prochaine échéance électorale (les municipales d’octobre, NdT), que dans le cadre des luttes du mouvement de masse. La lutte pour de meilleures conditions de vie ne peut être dissociée de la lutte pour l’abrogation du cadrage fiscal, véritable « tombeau » des revendications de la majorité sociale.

 

Le Cadrage budgétaire est un projet néolibéral au service des banquiers et des organisations du capitalisme rentier.

Les récentes coupes budgétaires se concentrent dans les domaines sociaux. La santé est le domaine le plus touché par les coupes (4,4 milliards de R$), suivi par les villes (2,1 milliards de R$), les transports (1,5 milliard de R$) et l’éducation (1,2 milliard de R$). L’argument du gouvernement est le soi-disant » déficit zéro ». Il s’agit d’une conséquence directe de l’engagement à appliquer le cadrage budgétaire, approuvé l’année dernière par les parlementaires, le PSOL ayant voté contre après d’intenses discussions internes.

Le cœur de la politique économique consiste à : (a) maintenir des taux d’intérêt élevés, qui endettent les familles de travailleurs, affaiblissent les petites entreprises et réduisent les recettes fiscales ; (b) prendre des mesures fiscales sans effet sur les milliardaires, et qui pèsent sur la consommation ; et, comme fleuron, (c) approfondir l’ajustement budgétaire, en réduisant les dépenses publiques afin de continuer à rembourser la dette publique.

Dans la pratique, on assiste á la continuation de la néfaste politique de plafonnement des dépenses mise en œuvre depuis le gouvernement Temer. Comme l’a montré l’économiste David Deccache, il est « mathématiquement » impossible de concilier le maintien du cadrage avec la défense des planchers minimum définis dans la constitution pour la santé et l’éducation. Le risque de remise en cause s’étend à des droits consolidés tels que le BPC (Bénefice de Prestation Continue, qui garantit un revenu minimal aux personnes de plus de 65 ans ou handicapés, NdT) et l’assurance chômage, sous l’argument de la réduction des dépenses. La presse libérale a rapporté que des sources gouvernementales étudient ces mesures et d’autres, comme la suppression des planchers constitutionnels pour la santé et l’éducation.

Les bénéficiaires de cette politique économique sont les banquiers, le capital rentier et l’agro-industrie. Comment espérer gagner le soutien populaire en pénalisant les secteurs les plus vulnérables, comme les retraités, les salariés, les fonctionnaires, les petits producteurs ruraux et les petites et moyennes entreprises urbaines.

 

La dialectique entre politique et économie dans la lutte contre le néolibéralisme

Le problème fondamental de la définition de la politique économique est politique. Sans changer le rapport de force, toute mesure visant à briser l’hégémonie néolibérale perpétuée par Fernando Haddad (le ministre des Finances) et Gabriel Galípolo (Directeur du BC nommé par Lula, favori pour accéder à la présidence en aout) à la tête de l’équipe économique est impensable.

La pression de l’extrême droite, tant dans la conquête de l’opinion publique ou par l’exigence de mesures d’ajustement plus sévères, ne peut être combattue que par une ligne d’élargissement des droits. En cédant au Centrão, comme dans le cas de l’énorme part du budget consacrée aux amendements parlementaires, le gouvernement s’affaiblit, donnant à Bolsonaro des munitions pour capitaliser sur le malaise croissant. Dans un scénario où l’ubérisation et la précarisation des services publics s’accentuent, la seule façon de construire un « mur » durable contre les putschistes d’aujourd’hui et de demain est de construire un agenda de majorité sociale, d’organiser les revendications des travailleurs, de mobiliser et de lutter pour un programme capable de vaincre le cercle d’acier du néolibéralisme.

Prenons l’exemple de la suspension (bien que partielle) de la dette dans le cas de la tragédie climatique du Rio Grande do Sul. Dans une situation d’urgence, le tabou du néolibéralisme, qui est attaché à ses dogmes, a été brisé afin de répondre à une dangereuse situation chaotique, mais le différend sur où et comment affecter ces ressources est toujours en cours ; comme l’est le différend sur la reconstruction du Rio Grande do Sul et sur la question de savoir qui paiera la plus grande part de cette facture.

Notre défi, dans les luttes et les élections, est de combiner l’unité nécessaire pour combattre l’extrême droite avec une position d’indépendance qui puisse préserver la défense d’un programme et d’une stratégie de mobilisation.

 

Construire un programme d’urgence maintenant

Nous continuerons à le clamer haut et fort : le cadrage fiscal est incompatible avec tout programme minimum de revendications, de maintien des planchers constitutionnels pour la santé et l’éducation, d’augmentation du salaire minimum et des pensions, et d’investissements publics pour faire face à la crise.

Au-delà de la lutte contre l’austérité et ses conséquences, nous devons relancer le débat sur le remboursement de la dette, en liaison avec une large agitation pour l’imposition des grandes fortunes et des dividendes.

Dans les luttes, nous devons jeter des ponts entre les revendications plus immédiates – comme la grève fédérale de l’éducation et maintenant la lutte à São Paulo contre les écoles civico-militaires – et une issue plus profonde qui signalise un autre projet économique. Et, lors des élections municipales, associer les mesures programmatiques locales, y compris le tarif zéro des transports, la défense des entreprises publiques, les incitations pour les petites entreprises et l’expansion des services publics, avec une agitation plus large pour des changements dans l’économie, y compris parmi les secteurs critiques du camp progressiste dans son ensemble.

Un bon début serait un plan national de travaux publics avec des forts investissement de l’État, en vue de créer les conditions de permettre aux principales villes de faire face au changement climatique ; des politiques pour le logement, l’assainissement, les équipements publics, des transports publics propres, gratuits et de qualité ; un plan ambitieux pour des changements dans la production et la gestion des aliments, en soutenant la production agroécologique, basée sur la réforme agraire et l’agriculture familiale. Projeter cet agenda dans la dispute électorale dans les villes, un moyen de politiser l’électorat du camp progressiste, c’est se préparer aux batailles à venir.

Publié le 5 août par la revue Movimento, traduit par Luc Mineto.