Quand l’accusation d’antisémitisme devient une arme entre les mains du néofascisme

par Gilbert Achcar
Un homme masqué tient une pancarte antisémite lors d'une manifestation près du consulat israélien à New York, le 17 octobre 2023. © Joe Tabacca/Shutterstock.

Netanyahu est devenu le chouchou de l’extrême droite mondiale, non seulement en tant que modèle, mais aussi en raison de ses efforts assidus pour laver ses camarades du monde entier de l’accusation d’antisémitisme et l’attacher à ceux qu’ils haïssent…

Les Arabes sont habitués à être accusés d’antisémitisme chaque fois que les sionistes et leurs partisans sont incapables de réfuter leur critique de la réalité de l’État d’Israël et de son comportement colonial oppresseur. Les critiques d’origine juive du sionisme sont d’ailleurs eux-mêmes habitués à être soumis à la même calomnie, avec une sévérité accrue puisque les sionistes les considèrent comme des « traîtres » ou les accusent de « haine de soi » selon la logique raciste qui veut que tout Juif devrait être sioniste (la même logique qui prévaut chez ceux dont l’hostilité au sionisme sert de mince voile à une position raciste hostile aux Juifs dans leur ensemble).

Ce qui est nouveau ces dernières années, c’est l’élargissement du champ des personnes accusées d’antisémitisme pour y inclure un large éventail de critiques de gauche de l’État d’Israël, dont la position critique s’inscrit dans une longue histoire politique et qui, durant des décennies de critique des gouvernements israéliens pour leurs pratiques racistes coloniales envers les Palestiniens, étaient convaincus de partager cette position avec les Juifs israéliens de gauche. Ce changement a accompagné une dérive croissante de la scène politique mondiale vers la droite et l’extrême droite, dérive propulsée et stimulée par cette dernière.

Benjamin Netanyahu en a été un pionnier. Le premier ministre sioniste est, à plus d’un titre, un pionnier de l’extrême droite mondiale. Il a notamment joué ce rôle après son retour au pouvoir en 2009 et sa longévité au gouvernement, établissant le record de durée du mandat de premier ministre de l’État d’Israël, ayant occupé ce poste pendant plus de douze ans jusqu’en 2021, avant de revenir et le réoccuper à partir de la fin de 2022. Au cours de ces années, Netanyahu a été un modèle pour l’extrême droite mondiale par son opportunisme éhonté, sa capacité à mentir sans vergogne, son recours sans scrupules aux méthodes politiques les plus viles contre ses adversaires israéliens et son aptitude sans précédent à surenchérir sur tout le monde dans l’excommunication sioniste des adversaires, qu’il a transformée en arme idéologique de prédilection.

Netanyahu est devenu le chouchou de l’extrême droite mondiale, non seulement en tant que modèle, mais aussi en raison de ses efforts assidus pour laver ses camarades du monde entier de l’accusation d’antisémitisme et l’attacher à ceux qu’ils haïssent. Cela a bien cadré avec la coïncidence entre la montée de l’extrême droite à l’échelle mondiale et la montée de l’islamophobie, en conséquence de la combinaison entre l’hostilité raciste envers les immigrants provenant de pays à majorité musulmane et l’idéologie de la « guerre contre le terrorisme » stimulée par les attentats criminels menés par Al-Qaïda et Daech dans le Nord mondial.

Dans son effort pour exonérer de l’accusation d’antisémitisme les sources de l’antisémitisme traditionnel à l’extrême droite afin de rejeter cette même accusation sur tous les critiques du sionisme, Netanyahou est allé jusqu’à tenter d’absoudre partiellement Adolf Hitler lui-même de la responsabilité de la perpétration du génocide des Juifs européens, en attribuant cette responsabilité à Amin al-Husseini d’une façon qui a suscité la protestation et la dénonciation de tous les historiens de la Shoah. L’intention de Netanyahu n’était pas seulement d’amplifier l’hostilité raciste envers les Arabes et les musulmans à travers le personnage d’Al-Husseini, argument favori de la propagande sioniste pendant plus de quatre-vingts ans en raison du mal qu’il a fait à la cause palestinienne en collaborant avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste pendant la Seconde Guerre mondiale. L’intention du premier ministre israélien était également d’exonérer l’extrême droite européenne antisémite à travers le personnage de Hitler.

C’est ainsi que Netanyahou est devenu le prétexte favori des dirigeants de l’extrême droite mondiale pour dissimuler leur antisémitisme, même lorsqu’il est flagrant. De Viktor Orban, le premier ministre hongrois dont la haine pour les Juifs n’est un secret pour personne, à Donald Trump, qui estime qu’il est du devoir des Juifs américains d’être inconditionnellement loyaux envers l’État d’Israël et son gouvernement, à Vladimir Poutine, autre modèle de l’extrême droite mondiale, et à Marine Le Pen qui s’efforce de dissimuler l’antisémitisme historiquement inhérent au mouvement qu’elle dirige, une longue lignée de figures de l’extrême droite mondiale sont devenus les meilleurs amis de Netanyahu et de son gouvernement sioniste d’extrême droite, leur semblable. Ils ont surenchéri sur tout le monde dans le soutien qu’ils leur ont manifesté, y trouvant un moyen bon marché de camoufler leur antisémitisme passé et présent, d’autant plus que le nombre des Juifs européens est devenu très limité depuis le génocide nazi, tandis que les immigrants en provenance du Sud mondial sont devenus le nouveau bouc émissaire préféré de l’extrême droite au Nord.

Un cas très révélateur par rapport à tout cela est l’annonce par Amichai Chikli, ministre de Netanyahu et membre de son parti, le Likoud, que l’ensemble du gouvernement israélien s’est réjoui de la victoire remportée par le parti de Le Pen au premier tour des élections législatives françaises dimanche dernier. Chikli détient un portefeuille ministériel spécialisé dans les « affaires de la diaspora et la lutte contre l’antisémitisme » ! Le pire, c’est que les partis politiques du « centre » ont choisi de profiter de l’instrumentalisation de l’accusation d’antisémitisme à des fins droitières dans leur lutte contre leurs adversaires de gauche, comme dans la campagne odieuse menée en Grande-Bretagne par la droite conservatrice et la droite du Parti travailliste (« centriste ») afin d’éliminer politiquement Jeremy Corbyn, et la campagne similaire menée contre Jean-Luc Mélenchon en France par le « centre-droit » représenté par l’actuel président Macron, et la droite de la gauche, dite « centre-gauche ».

En participant à ces campagnes de calomnie sans même diriger leurs tirs en même temps contre l’extrême droite et dénoncer son hypocrisie au sujet de l’antisémitisme, les forces « centristes » ont contribué à couvrir l’extrême droite et à crédibiliser sa prétention d’être innocente d’antisémitisme, tout en donnant la priorité à cette considération sur la condamnation du racisme antinoirs et antimusulmans et de la xénophobie en général que l’extrême droite ne prétend nullement avoir surmontées, mais dont elle est plutôt fière, les utilisant comme argument idéologique central dans son activité. C’est ainsi que l’éventail politique « centriste », de droite à gauche, a fini par participer à des manifestations contre l’antisémitisme en commun avec l’extrême droite antisémite, comme cela s’est produit en France à la suite de l’opération menée par le Hamas dans la bande de Gaza.

En conclusion, faire de l’accusation d’antisémitisme un mal absolu au point de déprécier tous les autres aspects du racisme et d’accepter que « les Juifs » soient représentés par un gouvernement sioniste dirigé par un parti d’origine fasciste et auquel participent des ministres « néonazis » et des intégristes religieux juifs, un gouvernement qui a rapproché « l’État juif » de la « gestion de la barbarie » selon le modèle incarné par « l’État islamique », ce comportement des forces « centristes » a contribué et continue de contribuer grandement à renforcer l’extrême droite mondiale, de même que leur émulation de cette extrême droite dans d’autres domaines, en particulier l’hostilité raciste envers les immigrés.

Traduction de ma tribune hebdomadaire dans le quotidien de langue arabe, Al-Quds al-Arabi, basé à Londres. Cet article est paru le 2 juillet en ligne et dans le numéro imprimé du 3 juillet. Vous pouvez librement le reproduire en indiquant la source avec le lien correspondant.