Équateur : Après la « consultation populaire-référendum » de Noboa

par Jean Puyade
Le 21 avril 2024, le président Daniel Noboa, à côté de présidente du Conseil national électoral, inaugure le processus de référendum. Foto: Carlos Silva / Presidencia del Ecuador.
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Les résultats de la consultation populaire-référendum organisée le dimanche 21 avril par le président équatorien de droite Daniel Noboa, quelques mois à peine après son installation au pouvoir en novembre 2023, n’ont pas répondu totalement à l’objectif qu’il s’était fixé. Pour Noboa il s’agissait de remporter un plébiscite avec un Oui franc et massif aux 11 questions posées à la population équatorienne (dont 5 questions-amendements à la Constitution) et, sur la base de cette victoire politique, de s’engager dans la marche à sa réélection l’année suivante en 2025.

Or, si le Oui s’est imposé sur 9 questions relatives à la sécurité et à la violence, et par là à la militarisation du pays qu’il a commencé à entreprendre, c’est par un Non net et massif que la population a répondu aux deux questions D et E, relatives aux choix économiques du pays et au droit du travail.

Un échec partiel de Noboa, un succès populaire

Il y a d’une part le refus d’accepter le recours aux règles de l’arbitrage international en cas de litige du pays avec les transnationales minières ou pétrolières, expertes en la matière (D), et de l’autre le refus du retour aux contrats temporaires de travail et au paiement à l’heure de travail, c’est-à-dire l’acceptation de la précarisation et de la flexibilisation du marché du travail et de la baisse des salaires (E). En cela résidait justement une partie de la manipulation de cette Consulta popular, qui visait à trouver une caution à sa politique économique et sociale néolibérale aggravée, concentrée dans ces deux questions, noyées au milieu des autres questions sur la sécurité. Convoquée à des fins de légitimation électorale, les résultats de la Consultation ne permettent pas de prétendre à un soutien inconditionnel au gouvernement et à son président.

Noboa a beau proclamer sa victoire en la comparant au résultat d’un match de foot au score de 9 à 2, il a subi un revers pour sa politique économique et sociale néolibérale agressive. Il s’était engagé dans celle-ci dès le début de son mandat, d’une part auprès du FMI, et, d’autre part, lors de son déplacement au Canada pour l’assemblée annuelle des principaux investisseurs miniers du monde, pour « réaliser enfin le destin minier de l’Équateur » 1 . C’est donc à juste titre que les forces très diverses de tous les secteurs du camp populaire qui ont fait campagne pour le Non peuvent célébrer un succès. 

Un succès cependant de la manipulation de Noboa

Il convient en effet d’évaluer avec lucidité la situation. En obtenant la majorité de Oui pour les autres questions, Noboa réussit à asseoir institutionnellement « la militarisation » de la vie quotidienne politique et sociale en Équateur, ce que son gouvernement a mis en place concrètement sous prétexte de lutte contre le narcotrafic avec la déclaration de « Conflit armé interne » de janvier 2024, accompagnée de la « déclaration de l’état d’urgence ». Les 8 et 9 janvier 2024, la société équatorienne a connu un pic de violence criminelle : la prise de contrôle de six prisons par les mafias de la drogue, l’explosion de 12 voitures piégées dans 8 provinces, des enlèvements de policiers, la prise de contrôle d’une chaîne de TV publique, tout cela pour faciliter la fuite de deux des principaux chefs de bande du narcotrafic…

Face à la commotion sociale ainsi produite, le gouvernement Noboa a déclaré la guerre au narcotrafic et à 22 de ses principales bandes armées. Il a réussi à créer un état de choc dans la société équatorienne et a semblé apporter une réponse aux légitimes inquiétudes populaires.

L’Équateur est devenu depuis une décade une plaque tournante du narcotrafic en Amérique latine avec les manifestations de violence et de décomposition qui l’accompagnent. Mais la réponse apportée à ce sérieux problème qui inquiète et traumatise la population, loin de le régler, ne diffère guère de celle fournie par les derniers gouvernements qui ont multiplié les déclarations d’état d’urgence 2 . Certes les forces armées ont envahi les rues et les ronds-points du pays, mais les mandataires et principaux bénéficiaires du narcotrafic, parmi lesquels des haut gradés de l’appareil d’État répressif et les investisseurs de l’argent de la drogue dans l’économie légale, ne sont pas inquiétés.

Les déploiements policiers et militaires, quotidiennement télévisés, arrêtent et menottent les jeunes subalternes des quartiers pauvres. En quelques mois, depuis janvier, plus de 20 000 jeunes ont été ainsi arrêtés, menottés, photographiés et télévisés sous toutes les coutures, même si une grande partie a été ensuite relâchée. S’incruste de la sorte l’idée que l’ennemi, le terroriste, c’est la jeunesse pauvre des quartiers et des secteurs déshérités. Ainsi une atmosphère de peur et d’insécurité est diffusée et un climat d’aspiration à l’ordre, de dépendance vis-à-vis de la force armée et du besoin d’un sauveur sont facilités.

C’est à partir de ces opérations, qui ne règlent aucunement le problème du narcotrafic, mais qui sont quotidiennement manipulées par la presse aux ordres, que Noboa a réussi à légitimer son programme sécuritaire. Au fil des dernières années depuis 2021, près de 10 états d’urgence ont été déclarés contre la violence mafieuse. Il s’est créé ainsi, comme le révèle le résultat de la Consulta, un « sens commun » autoritaire étendu à de larges couches sociales. Malgré le mécontentement provoqué par les mesures sociales d’austérité adoptées par son gouvernement – augmentation du prix du carburant, une TVA de 15%, des coupures dans les aides sociales, l’école et la santé, malgré les coupures régulières d’électricité qui peuvent durer plusieurs heures – Noboa, qui a débuté son mandat avec une approbation de 80 % dans les enquêtes d’opinion, conserve encore 50 % d’opinions favorables et bien sûr le contrôle de l’appareil d’État et l’appui du bloc de la puissance oligarchique.

Une situation tendue et incertaine

En envoyant en mars dernier une partie des forces armées et policières contre la résistance populaire au projet minier La Plata de l’entreprise canadienne Atico Mining dans la région de Cotopavix, dans les bourgades paysannes de Palo Quemado et La Pampa, Noboa a démontré comment il entend étendre l’utilisation du « Conflit armé interne ». Il utilise l’armée pour en finir par la répression militaire avec cette résistance sociale, n’hésitant pas à qualifier de « terroriste liée au narcotrafic » la résistance pacifique des paysans de cette région. Certes le cadre organisé de la Conaie et du Front national antiminier dans ce conflit a pour l’instant facilité l’obtention d’un répit par la résistance 3  et Noboa a dû reculer momentanément. C’est pour cela qu’il avait besoin de remporter la victoire politique que représentait un vote Oui aux 11 questions posées dans sa « Consultation populaire » du 21 avril, non seulement pour renforcer dans les meilleures conditions la militarisation de l’Équateur et mettre en œuvre l’ensemble de la politique extractiviste néolibérale dont sa famille est une des plus puissantes représentantes, mais en obtenant de plus le consentement des victimes de cette politique.

Ce consentement, il ne l’a pas obtenu. Le mouvement populaire, organisé sous des formes diverses, a conquis cette majorité de Non sur les deux questions lors du vote du dimanche 21 avril, appuyé sur des convictions ancrées dans les consciences populaires qui, à de nombreuses reprises, ont déjà manifesté leur refus de mesures politiques extractivistes néolibérales prédatrices. Ainsi, il s’est aussi affirmé dans le résultat de ces votes, un « sens commun » anti-néolibéral et démocratique, même s’il n’a pu contenir le déplacement conservateur, en matière de sécurité, de la mentalité sociale majoritaire, qui tend à chercher dans les forces armées sa protection contre la violence mafieuse.

Une élection présidentielle en février 2025

En donnant l’ordre d’envahir l’Ambassade du Mexique à Quito et l’enlèvement d’un opposant qui y avait obtenu l’asile politique, Noboa montre qu’il est prêt à faire sauter tous les verrous de l’État de droit et des droits démocratiques pour imposer sa politique et celle du bloc économique qui l’appuie. Ainsi, un axe tend à se constituer entre un Président « à poigne » et les militaires dans la rue, Noboa tentant de se présenter au-dessus des conflits politiques et sociaux.

C’est la posture et le récit qu’il veut imposer pour préparer sa réélection lors de la présidentielle qui aura lieu en février 2025, puisqu’il n’avait été élu en août 2023 que pour terminer le mandat écourté du président précédent, le banquier G. Lasso. Pour l’heure, il ne peut effacer l’échec que représentent pour lui les deux Non aux deux articles liés à son agenda néolibéral. Comme l’explique, dans une interview après les résultats, Leonidas Iza, Président de la principale organisation des peuples indigènes d’Équateur (la CONAIE) et l’une des principales voix opposées au gouvernement : « Sur la base de ces deux non peut se constituer et se construire un programme alternatif au programme néolibéral de Noboa et du bloc qui le soutient, programme qui doit inclure bien sûr, la réponse populaire alternative à la lutte contre l’insécurité, le narcotrafic et la violence mafieuse ».

Le mouvement populaire doit maintenant partir à la conquête d’une unité plus forte en unifiant sa solidarité avec les mouvements de résistance aux agressions de la politique du gouvernement Noboa et en mettant en discussion « une alternative économique sociale et politique » face aux plans néolibéraux de Noboa. Dans ce cadre, et dans l’immédiat, l’appel international à la solidarité lancé par la CONAIE et le Frente nacional antiminero en défense de la résistance actuelle de communautés indigènes contre les projets extractivistes prédateurs en cours, doit recevoir l’attention de toutes les forces qui combattent aujourd’hui pour une alternative à la marche accélérée vers le chaos qu’indique l’actualité mondiale. n

Le 16 mai 2024

Jean Puyade est membre de la commission Amérique latine du NPA-L’Anticapitaliste.

Chronologie de l'Equateur

  • 1« Le mouvement indigène équatorien appelle à un mouvement international contre les industries extractives », Ian Bruce, 5 avril 2024, Inprecor.
  • 2« Capitalisme et Narcotrafic en Équateur », André Madrid Tamayo et Andrès Tapia, 9 février 2024, Inprecor.
  • 3Les populations de Palo Quemada et La Pampa refusent le projet minier et la consultation truquée anticonstitutionnelle que l’entreprise canadienne et le gouvernement veulent imposer, remettant en cause le droit à une consultation libre et informée de toute la population. Malgré une répression sévère, 20 blessés et 72 poursuivis judiciairement, la population résiste et un juge local a exigé le retrait des forces policières spéciales de la région et la suspension provisoire de la consultation.